Généalogie Charente-Périgord (GCP)

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  • Après l’affaire de Guttstadt, les Russes vinrent pour forcer aussi le maréchal Bernadette dans sa tête de pont de Spanden; ils y furent repoussés, et le maréchal blessé à la tête par une balle qui lui entra derrière l’oreille. Il fut obligé de quitter l’armée, et fut relevé parle général Victor, qui venait d’être échangé contre le général Blücher, pris à Lubeck, comme on peut se le rappeler.

    Les Russes firent la faute de ne pas se retirer de suite et de nous donner le temps d’arriver.

    Le maréchal Soult, qui était à la gauche du maréchal Ney, vint sur Guttstadt; la droite, pu était le corps du maréchal Davout se porta également d’Osterode sur Guttstadt.

    Le général Victor et le maréchal Mortier, qui étaient à la gauche et au centre, marchèrent devant eux, en passant la Passarge à Spanden.

    Les grenadiers réunis, la garde, ainsi que des troupes nouvellement arrivées de France en poste, marchèrent aussi des environs de Finkenstein sur Guttstadt; la cavalerie en fit de même.

    Ce mouvement s’exécuta avec une rapidité incroyable; le 8 juin, tout était concentré derrière la Passarge, que l’on passa le 9. On poussa devant soi. la cavalerie légère ennemie, et on entra le même soir a Guttstadt. Le 10, de grand matin, l’on partit en descendant l’Aile, et vers le soir on accula l’arrière-garde ennemie sur le bord de cette rivière, à Heilsberg; la majeure partie de l’armée ennemie occupait la rive droite, qui est beaucoup plus élevée que la rive gauche; toute son artillerie y était portée.

    Le grand-duc de Berg s’entêta à faire donner plusieurs fois sa cavalerie, qui avait fait des merveilles toute la matinée, mais qui, arrivée sous le feu de ce canon, fut assaillie de boulets qui l’obligèrent à rétrograder; elle le fit en désordre; les Russes la firent poursuivre par quelques escadrons qui achevèrent de la mettre en déroute totale.

    Heureusement pour elle, [’empereur, qui, du point où il observait, l’avait vue s’engager maladroitement, avait bien vite fait marcher la brigade des fusiliers de la garde avec douze pièces de canon pour prévenir une échauffourée; il m’en donna le commandement.

    Cette brigade, nouvellement formée, n’était pas encore une troupe sûre, Elle était composée de deux régimens de très beaux jeunes gens.

    Pour arriver dans la plaine où manœuvrait le grand-duc de Berg, j’avais un long défilé de marais et un village à traverser; je ne me mis pas en mouvement sans inquiétude, parce que c’était le seul chemin par lequel notre cavalerie pouvait se retirer, si elle avait été culbutée avant que j’eusse achevé de passer; cependant il le fallait, et je le fis au pas le plus accéléré possible, et sur te plus grand front que je pouvais montrer bien m’en prit, car à peine étais-je formé dans la plaine, à, deux cent cinquante toises de l’autre côté du défilé, ayant en avant deux bataillons déployés et mes deux ailes serrées en colonne, et à peine ma dernière pièce était-elle en batterie, que je fus enveloppé par la déroute de notre cavalerie, qui revenait sur le défilé pêle-mêle avec la cavalerie russe. Je n’eus que le temps d’ouvrir le feu de tout mon front; il arrêta la cavalerie russe et donna à la nôtre le temps de se rallier et de se reformer.

    Les Russes avaient fait suivre leur cavalerie par de l’infanterie et du canon, qu’ils avaient placé dans des redoutes ébauchées, en avant de Heilsberg, du côté par où nous arrivions. Il fallut s’engager avec ceux-là, La canonnade et la fusillade furent vives, et j’aurais eu une mauvaise journée, si une des divisions du maréchal Soult, commandée par le général Saint-Hilaire, qui était à ma droite, ainsi qu’une du maréchal Lannes, commandée par te général Verdier, qui était à ma gauche, n’eussent pas joint leurs feux aux miens néanmoins je fus bien maltraité : je couchai encore à deux cents toises en avant du terrain sur lequel j’avais combattu; mais j’éprouvai une perte considérable j’eus à regretter la mort du général de. brigade Roussel, et j’eus plusieurs caissons de munitions, entre autres un d’obus, qui sautèrent pendant le combat, et qui nous nrent beaucoup de mal, étant formés dans un ordre serré.

    Sans l’intrépidité du commandant de notre artillerie, le colonel Greiner, qui fit un feu des plus vifs et des plus meurtriers, j’aurais été enfoncé et par conséquent sabré et pris par toute la cavalerie russe qui m’entourait et qui venait déjà de maltraiter la nôtre; le danger était d’autant, plus grand, que la division Saint-Hilaire était en retraite décidée.

    J’eus une explication vive avec le grand-duc de Berg, qui m’envoya, dans le plus chaud de l’action, l’ordre de me porter en avant et d’attaquer j’envoyai l’officier qui me l’apportait à tous les diables, en lui demandant s’il ne voyait pas ce que je faisais. Ce prince, qui voulait commander partout, aurait voulu que je cessasse mon feu, dans le moment le plus vif, pour me mettre en marche; il ne voulait pas voir que j’aurais été détruit avant d’arriver il y avait un quart d’heure que mon artillerie échangeait de la mitraille avec celle des Russes, et il n’y avait que la vivacité de la mienne qui me donnât de la supériorité.

    La nuit arriva bien à propos : pendant que tout sommeillait, l’empereur m’envoya chercher pour venir lui parler. Il était content du coup d’essai de cett ejeune troupe; mais il me gronda pour avoir manqué au grand-duc de Berg; et en me défendant, je me hasardai à lui dire que c’était un extravagant qui nous ferait perdre un jour quelque bonne bataille et qu’enfin il vaudrait mieux pour nous qu’il fût moins brave, et eût un peu plus de sens commun. L’empereur me fit taire en me disant que j’étais passionné, mais il n’en pensa pas moins.

    Le lendemain, c’était le 11 juin, les Russes restèrent toute la journée en avant d’Heilsberg; on releva de part et d’autre ses blessés; et nous en avions autant que si nous avions eu une grande bataille. L’empereur était de fort mauvaise humeur; le maréchal Davout venait d’arriver; il le fit manœuvrer sur notre gauche; et son seul mouvement fit évacuer aux Russes leur position en avant d’Heilsberg; ils repassèrent l’Alle, et dans !a nuit du 11 au 12 ils partirent pour Friedtand. L’empereur coucha le 12 à HeeIsberg, et, seIon son habitude, il alla visiter la position que les ennemis avaient occupée la veille; il devint furieux lorsqu’il vit que l’on avait été assez imprudent pour venir se faire mitrailler d’un bord de la rivière à l’autre, comme cela était arrivé.

    C’est à Heilsberg qu’il apprit du bourguemeister, que l’empereur de Russie était l’avant-veille en ville avec le roi de Prusse, et qu’ils en étaient partis avant l’armée. Le 13 nous partîmes de bon matin pour aller à Preuss-EyIau l’empereur y coucha la nuit du 13 au 14. Notre cavalerie ne put fournir un rapport précis de la marche de l’armée ennemie, en sorte que ce fut encore l’empereur, qui, de son cabinet, ordonna de marcher sur trois directions où il était impossible que l’armée russe n’eût pas été chercher à passer pour gagner les bords de la Pregel et couvrir Kœnigsberg; il jugeait des opérations de l’ennemi d’après ce qu’il aurait fait à sa place.

    Il fit marcher le maréchal Soult avec le grand-duc de Berg sur Kœnigsberg, où ce dernier affirmait que s’était retirée l’armée ennemie; il fit marcher le corps de Davout à la droite de celui du, maréchal Soult, et l’empereur garda avec lui le reste de l’armée.

    II avait fait marcher dès la veille, après midi, par le chemin de Friedland; c’était le général Oudinot, qui, avec les grenadiers réunis, était en tête de la colonne, sous les ordres du maréchal Lannes; la division des cuirassiers du général Nansouty était de cette colonne.

    Source : Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à l’histoire de l’empereur Napoléon.

  • Le 10 juin en effet on marcha par la rive gauche de l’Alle sur Heilsberg. Il fallait franchir un défilé près d’un village appelé Bewerniken. On y trouva une forte arrière-garde, qui fut bientôt repoussée, et on déboucha en vue des positions. occupées par l’armée russe.

    Après tant de démonstrations présomptueuses, le général ennemi devait éprouver la tentation de ne pas fuir si vite, et de s’arrêter afin de combattre, surtout dans une position où beaucoup de précautions avaient été prises, pour rendre moins .désavantageuses les chances d’une grande bataille. Mais c’était peu sage, car le temps devenait précieux, si on voulait n’être pas coupé de Kœnigsberg. Néanmoins l’orgueil parlant plus haut que la raison, le général Benningsen résolut d’attendre devant Heilsberg l’armée française.

    Heilsberg est située sur des hauteurs, entre lesquelles circule la rivière de l’Alle. De nombreuses redoutes avaient été construites sur ces hauteurs. L’armée russe les occupait, partagée entre les deux rives de l’Alle. Cet inconvénient assez grave était racheté par quatre ponts, établis dans des rentrants bien abrités, et permettant de porter des troupes d’un bord à l’autre. D’après toutes les indications les Français devant arriver par la rive gauche de l’Aile, on avait accumulé de ce côté la plus grande partie des troupes russes. Le général Benningsen n’avait laissé dans les redoutes de la rive droite que la garde impériale, et la division Bagration fatiguée des combats livrés les jours précédents. Des batteries avaient été disposées pour tirer d’un bord à l’autre. Sur la rive gauche, par laquelle nous devions attaquer, se voyait le gros de l’armée ennemie, sous la protection de trois redoutes hérissées d’artillerie. Le général Kamenski, qui avait rejoint dans la journée du 10, défendait ces redoutes. Derrière, et un peu au-dessus, l’infanterie russe était rangée sur deux lignes. Le premier et le troisième bataillon de chaque régiment, entièrement déployés, composaient la première ligne. Le second bataillon formé en colonne derrière les premiers, et dans leurs intervalles, composait la seconde. Douze bataillons, placés un peu plus loin, étaient destinés à servir de ré- serve. Sur le prolongement de cette ligne de bataille, et faisant un crochet à droite en arrière, se trouvait toute la cavalerie russe, renforcée par la cavalerie prussienne, et présentant une masse d’escadrons au delà de toutes les proportions ordinaires. Plus à droite enfin, vers Konegen, les cosaques étaient en observation. Des détachements d’infanterie légère occupaient quelques bouquets de bois, semés çà et là, en avant de la position. Les Français arrivant sur Heilsberg, avaient donc à essuyer, en flanc le feu des redoutes de la rive droite, de front le feu des redoutes de la rive gauche, plus les attaques d’une infanterie nombreuse, et les charges d’une cavalerie plus nombreuse encore. Mais entraînés par l’ardeur du succès, persuadés que l’ennemi ne songeait qu’à s’enfuir, et pressés de lui arracher quelques trophées avant qu’il eût le temps de s’échapper, ils ne tenaient compte ni du nombre ni des positions. Cet esprit était commun aux soldats comme aux généraux. Napoléon n’étant pas encore là pour contenir leur ardeur, le prince Murat et le maréchal Soult en débouchant sur Heilsberg, abordèrent les Russes, avant d’être suivis par le reste de l’armée. Le prince Bagration placé d’abord à la rive droite, avait été rapidement porté à la rive gauche, pour défendre le défilé de Bewerniken, et le général Benningsen l’avait fait appuyer par le général Uwarow avec vingt-cinq escadrons. Le maréchal Soult après avoir forcé le défilé, eut soin de placer 36 pièces de canon en batterie, ce qui facilita beaucoup le déploiement de ses troupes. La division Carra-Saint-Cyr se présenta la première, en colonne par brigades, et culbuta l’infanterie russe au delà d’un ravin qui descendait du village de Lawden à l’Aile. A la faveur de ce mouvement la cavalerie de Murat put se déployer ; mais harassée de fatigue, n’étant pas encore réunie tout entière, et assaillie au moment où elle se formait par les vingt-cinq escadrons du général Uwa- row, elle perdit du terrain, courut se reformer en arrière, chargea de nouveau, et reprit l’avantage. La division Carra-Saint-Cyr bordait le ravin au delà duquel elle avait rejeté les Russes. Canonnée de front par les redoutes de la rive gauche, de flanc par celles de la rive droite, elle eut cruellement à souffrir. La division Saint-Hilaire vint la remplacer au feu, en passant en colonnes serrées, à travers les intervalles de notre ligne de bataille. Cette brave division Saint- Hilaire franchit le ravin, refoula les Russes, et les suivit jusqu’au pied des trois redoutes, qui couvraient leur centre, tandis que la cavalerie de Murât se jetait sur la cavalerie du prince Bagration, la taillait en pièces, et tuait le général Koring. Sur ces entrefaites la division Legrand, troisième du maréchal Soult, était arrivée, et prenait position à notre gauche, en avant du village de Lawden. Elle avait repoussé les tirailleurs ennemis des bouquets de bois placés entre les deux armées, et elle était parvenue, elle aussi, au pied des redoutes, qui faisaient la force de la position des Russes. Alors le général Legrand détacha le 26e léger, pour attaquer celle des trois redoutes qui se trouvait à sa portée. Cet intrépide régiment s’y élança au pas de course, y pénétra malgré les troupes du général Kamenski, en resta maître après un combat acharné. Mais l’officier qui commandait l’artillerie ennemie, ayant fait enlever ses canons au galop, les porta rapidement en arrière, sur le terrain qui dominait la redoute, et couvrit de mitraille le 26e auquel il causa des pertes énormes. Au même instant le général russe Warnek, apercevant la mauvaise situation du 26e, se jeta sur lui à la tête du régiment de Kalouga, et reprit la redoute. Le 55e qui formait la gauche de la division Saint-Hilaire, et qui était voisin du 26e, vint à son secours, mais ne put rétablir les affaires. Il fut obligé de se rallier à sa division, après avoir perdu son aigle. Nos soldats demeurèrent ainsi exposés au feu d’une nombreuse et puissante artillerie, sans en être ébranlés. Le général Benningsen voulut alors se servir de son immense cavalerie, et fit exécuter plusieurs charges sur les divisions Legrand et Saint-Hilaire. Celles-ci supportèrent ces charges avec un admirable sang-froid , et donnèrent à la cavalerie française le temps de se former derrière elles, pour charger à son tour les escadrons russes. Le maréchal Soult placé au milieu de l’un des carrés, dans lesquels se trouvaient pêle-mêle des Français, des Russes, des fantassins blessés, des cavaliers démontés, maintenait tout le monde dans le devoir par l’énergie de son attitude. Napoléon, qui était encore éloigné du lieu de ce combat, avait donné au général Savary, dès qu’il avait entendu le canon, les jeunes fusiliers de la garde, pour venir au secours des corps qui s’étaient témérairement engagés. Le général Savary hâtant le pas, prit position entre les divisions Saint-Hilaire et Legrand. Formé en carré, il essuya long-temps les charges de la cavalerie russe, qu’un horrible feu des redoutes aurait rendues dangereuses, si nos troupes avaient été moins fermes, et moins bien commandées. Le brave général Roussel, qui se trouvait l’épée à la main au milieu des fusiliers de la garde, eut la tête emportée par un boulet de canon. Cette action imprudente, dans laquelle 30 mille Français combattaient à découvert contre 90 mille Russes abrités par des redoutes, se prolongea jusque fort avant dans la nuit. Le maréchal Lannes parut enfin à l’extrême droite, fit tâter la position de l’ennemi, mais ne voulut rien entreprendre sans les ordres de l’Empereur. La canonnade cessa bientôt de retentir, et chacun par une nuit pluvieuse, essaya en se couchant à terre, de prendre un peu de repos. Les Russes, plus nombreux et plus serrés que nous, avaient essuyé une perte très-supérieure à la nôtre. Ils comptaient trois mille morts, et sept ou huit mille blessés. Nous avions eu deux mille morts, et cinq mille blessés.

    Napoléon arrivé tard, parce qu’il n’avait pas supposé que l’ennemi s’arrêtât sitôt pour lui résister, fut fort satisfait de l’énergie de ses troupes, mais beaucoup moins de leur extrême empressement à s’engager, et résolut d’attendre au lendemain, pour livrer bataille avec ses forces réunies, si les Russes persistaient à défendre la position d’Heilsberg, ou pour les suivre à outrance, s’ils décampaient. Il bivouaqua avec ses soldats sur ce champ de carnage, où gisaient 18 mille Russes et Français, morts, mourants, et blessés.

    Le général Benningsen, en proie à des souffrances aiguës, et à de grandes perplexités, passa la nuit au bivouac enveloppé dans son manteau. Il faut une âme forte pour braver à la fois la douleur physique et la douleur morale. Le général Benningsen était capable de supporter l’une et l’autre. Partagé entre la satisfaction d’avoir tenu tête aux Français, et la crainte de les avoir tous sur les bras le lendemain , il attendit le jour pour prendre un parti. De leur côté, nos troupes étaient debout dès quatre heures du matin, ramassant les blessés , échangeant des coups de fusil avec les avant-postes ennemis. Nos corps d’armée prenaient successivement position. Le maréchal Lannes était venu se placer la veille à la gauche du maréchal Soult, le corps du maréchal Davout commençait à se montrer à la gauche du maréchal Lannes, vers Grossendorf. La garde à pied et à cheval se déployait sur les hauteurs en arrière, et tout annonçait une attaque décisive avec des masses formidables. Cet aspect, mais surtout la vue du corps du maréchal Davout, qui débordait à Grossendorf l’armée russe, et semblait même se diriger sur Kœnigsberg, déterminèrent le général Benningsen à la retraite. Il ne voulut pas perdre à la fois une journée et une bataille, et s’exposer à venir au secours de Kœnigsberg, peut-être trop tard, peut-être à moitié détruit. Le général Kamenski dut partir le premier, afin de gagner à temps la route de Kœnigsberg , et de se joindre aux Prussiens avec lesquels il était habitué à combattre. Après avoir retiré d’Heilsberg tout ce qu’on pouvait transporter, le général Benningsen se mit lui-même en marche avec son armée, par la rive droite de l’Allé, dans le courant de la journée du 11. Il s’achemina en quatre colonnes sur Bartenstein, premier poste après Heilsberg. Son quartier-général y avait longtemps résidé.

    Napoléon employa une partie du jour à observer cette position, et s’il ne mit point à l’attaquer sa promptitude accoutumée, c’est qu’il était peu pressé de livrer bataille sur un terrain pareil, et qu’il ne doutait pas en poussant sa gauche en avant, d’obliger l’armée russe à décamper par une simple démonstration. Les choses se passant comme il l’avait prévu, il entra le soir même dans Heilsberg, et s’y établit avec sa garde. Il y trouva des magasins assez considérables, beaucoup de blessés russes, qu’il fit soigner comme les blessés français, et dont le nombre attestait que l’armée ennemie avait perdu la veille 10 à 11 mille hommes.

    La journée d’Heilsberg n’avait pas pu changer les plans de Napoléon. Il devait toujours tendre à déborder les Russes, à les séparer de Kœnigsberg, et il profiter du premier faux mouvement qu’ils feraient pour rejoindre cette place importante, qui était leur base d’opération. Ils ne s’étaient pas présentés à lui cette fois, dans une situation qui lui permît de les accabler, mais l’occasion favorable qu’il attendait, ne pouvait tarder de se présenter. Pour qu’elle manquât, il aurait fallu que le général Benningsen, dans la difficile position où il était placé, ne commît pas une faute.

    Source : Histoire du Consulat et de l’Empire, d’Adolphe Thiers.

  • Le château de La Rochette (Charente) vu du ciel.

    Demeure de la Renaissance (fin XVIe siècle).
    Premier propriétaire connu sous le nom de Roch Tizon, écuyer, officier des gardes du roi, maître des eaux et forêts d’Angoumois, seigneur de La Rochette, et de Sigogne par acquisition (acte du 13 juin 1584).

    XVIIe siècle : famille Frotier-Tizon.
    XVIIIe : familles de Paris et de La Garélie.
    XIXe : familles de Guitard et de Causans.

    L’édifice est la propriété de la commune de La Rochette depuis 1946.

    1582. — Transaction entre demoiselle Marguerite du Courret, femme de Roch Tizon, écuyer, sieur de La Rochette, « enseigne de la Garde française ancienne du corps du Roy » et maître des eaux et forêts d’Angoumois, demanderesse en dommages-intérêts, d’une part ; et Hubert Tisseuil, défendeur, d’autre part.

    AD Charente E 1267.

    1602. — Quittance par Jean Frotier, écuyer, sieur de La Rochette, y demeurant, en la châtellenie d’Angoulême, comme mari et poursuivant les droits de demoiselle Anne Tizon, fille et héritière, sous bénéfice d’inventaire, de feu Roch Tizon, en son vivant écuyer, sieur dudit lieu de La Rochette, d’une part ; à sire Antoine Martin, sieur de Montgoumard, marchand de la ville d’Angoulême, d’autre part, de la somme de 650 écus sol due par celui-ci audit seigneur de La Rochette, en qualité de cessionnaire de feu sire Jean Tonnelier, vivant marchand de Paris.

    AD Charente E 1541.

    Source : Généalogie Charente Périgord.

  • Chancel (Jean-Nestor), général, frère d’un député au Corps Législatif. Naquit à Angoulême le 1er mars 1753. Aspirant surnuméraire à l’Ecole d’artillerie de Strasbourg, 15 juin 1769; passé au service de l’Autriche comme élève du génie, 1er avril 1771; sous-lieutenant, 16 janvier 1774; premier lieutenant de chasseurs, 5 avril 1778; passé au régiment d’infanterie de Preiss, 10 juillet 1779; démissionna du service d’Autriche, 8 mars 1780; sa démission fut acceptée, 9 mai 1780; commissionné capitaine d’infanterie au service de la France, 5 avril 1780; capitaine adjoint aux aide-maréchaux des logis de l’armée, 1er décembre 1784; lieutenant-colonel, 1er avril 1791; adjudant général colonel employé dans la 4e division militaire (Nancy) le 2 juin 1791; à l’armée du Nord, 1792; servit à la prise de Courtrai, 18 juin 1792; puis fut nommé chef d’état-major de Dillon au camp de Pont-sur-Sambre; nommé provisoirement maréchal de camp, 21 octobre 1792; confirmé général de brigade par le conseil provisoire exécutif, 3 février 1793; commandant la réserve à l’armée du Nord en mars 1793; puis employé à la division du duc de Chartres, mars 1793; commandant à Condé, 6 avril 1793; capitula le 15 juillet; général de division, 11 septembre 1793; commandant la division de Maubeuge sous Gudin, 13 septembre; commandant en 2e le camp retranché de Maubeuge, 17 septembre; fut suspendu de ses fonctions pour son inaction à Maubeuge lors de la bataille de Wattignies, 22 octobre 1793; arrêté et détenu à Arras puis envoyé à Paris le 6 janvier 1794, en vertu d’un décret d’accusation du 29 décembre 1793. Interrogé par le tribunal révolutionnaire, 10 février 1794, il fut condamné à mort et décapité à Paris avec O’Moran et Davaine, 6 mars 1794.

    Chazeau-Duteil (Jacques), général, né à Saint-Maurice-les-Lions (Charente) le 3 février 1748, mort à Leyde (Hollande) le 22 juillet 1812. Gendarme dans la compagnie écossaise du 14 mars 1765 au 20 mai 1782; capitaine de fusiliers dans les volontaires de Luxembourg, 2 juin 178; licencié avec le corps en 1789; capitaine au 29e d’infanterie, 12 janvier 1792; lieutenant-colonel au 99e d’infanterie, 25 août 1792; adjudant général lieutenant-colonel employé à la 17′ division militaire à Paris, 7 septembre 1792; commandant amovible d’Ardres, 29 août 1794; commandant temporaire à Boulogne-sur-Mer, 23 octobre 1794; adjudant général chef de brigade, 12 mai 1795; compris en cette qualité dans le travail d’organisation des états-majors du 13 juin 1795; général de brigade, 28 octobre 1795; employé dans la 16e division militaire, mai 1796; réformé, 13 février 1797; membre du conseil d’administration de l’hôpital militaire de Bruxelles, 25 mai 1800; inspecteur de l’hôpital militaire de Lille, octobre 1806; inspecteur de l’hôpital militaire de Leyde, 19 mars 1812. Etait frère d’un membre de la Convention.

    Source : Dictionnaire biographique des généraux et amiraux français de la Révolution et de l’Empire, de Georges Six.

  • Si l’on trouve peu de choses à La Rochette sur les événements survenus pendant la Révolution, les documents demeurés nous renseignent mieux au point de vue militaire. Ils nous rapportent notamment la composition de la première Garde Nationale de la paroisse, en vertu du décret de l’A. Nationale du 21-6-1791. Elle avait pour commandant Pierre Furaud Villemalet, désigné par le Dir. du département de la Charente : taille 5 pieds 5 p., lequel avait servi pendant 8 ans au Bataillon de Chasseurs des Ardennes, et s’était retiré avec la cartouche de fourrier : le tout de bonne et libre volonté, 30 ans. Les autres étaient Louis Nadaud, de la Fourlière, caporal, 27 ans; Phil. Roy, de la Fourlière, sergent, 32 ans; Jean Hymonnet, de Fougères, domestique de Jean Nadaud dit Riouze, 18 ans; Jean Vigier, de la Fourlière, 16 ans; Séb. Augier, duc Roc, 25 ans; Jean Bouchaud, du bourg, 14 ans, qui était de bonne apparence; François Métraud, fils de feu Jean et de M. Poutignat, du Roc, 32 ans; Louis Robin, des Ecures, 25 ans; Jean Mémin, de Villemalet, 18 ans, était de bonne apparence; Jean Petitaud, de Villemalet, 18 ans, était de bonne apparence; François Nadaud, de S. Angeau, domestique de Jean Nadaud, dit Riouze, à La Fourlière, 20 ans; Louis Lambert, de la Fourlière, 25 ans; Pierre Dupont, de la Fourlière, 20 ans. Tous étaient volontaires. Il n’est pas question d’officiers autres que le Capne P. Furaud. Il y en avait cependant. Le capne et les officiers, en effet, avaient fait un rapport, malheureusement disparu, sur la négligence et l’indifférence que plusieurs citoyens apportaient à leur instruction militaire. Voyant avec peine qu’ils ne cherchaient point à s’instruire des évolutions militaires pour repousser leurs ennemis s’ils venaient à être attaqués, les off. mun. se réunirent le 7-4-1793, afin de prendre des décisions propres à y remédier. Très mortifiés à la lecture du rapport, reconnaissant que cette négligence et cette indifférence étaient très blâmables, ils déclarèrent, après audition du procureur de la commune, que «tout citoyen garde-national, depuis lage de dixhuy tans jusque a cinq cinquante ans, qui ne se présenterait pas, après les ordres reçus des officiers de la Garde pour exécuter les exercices militaires ou, qui ne préviendraient pas l’officier de la Cie, du motif qui pourrait le retenir, serait regardé à la 2e fois comme traître à la patrie et comme suspect; et à la 3e, serait désarmé et chassé de la compagnie, demeurerait sans arme, la sienne devant etre remise au premier bon citoyen qui n’en serait pas muni.» (C’était tout ce que les récalcitrants demandaient probablement.) Et, anfin que personne n’ignorat la présent arreté. Les off. mun. ordonnèrent qu’il fut lu publiquement et affiché ensuite à l’issue de la messe paroissiale du dimanche. Suivent les signatures, toutes d’une meme main : Bern. Maitraud, Séb. Martonnaud, François Viollet, François Jourde, off. munaux; Auger proc. de la Commune.

    Source : Histoire de La Rochette, de l’abbé Beau.

  • Grâce à l’influence de M. Babaud-Praisnaud, on peut le dire, M. Béchameil capitaine de vaisseau, originaire de la commune de Chirac, était devenu député de l’arrondissement. A voir leur volumineuse correspondance, souvent plusieurs lettres par jour, ce n’était pas une sinécure que la place de député, comme la comprenait le sous-préfet et comme M. Béchameil, au reste, s’efforçait de la remplir de la meilleure grâce du monde. Trouvant souvent bouche close dans les bureaux de la préfecture, le sous-préfet se retournait vers Paris, et chargeait le député d’obtenir la solution de toutes les affaires grandes et petites. Le pont et les traverses de Confolens, les allocations de bienfaisance, les maisons d’école, les questions de personnes, les détails administratifs, rien n’était oublié, et M. Béchameil devait voir à tout d’un ministère à l’autre, quand il n’était pas encore pressé de stimuler directement le zèle du préfet et de ses bureaux.

    «… Si vous vous plaignez de ce qui vous arrive à mon adresse, si vous trouvez que votre cabinet devient un bureau de poste, que dois-je dire, moi qui en reçois tant et des lettres de toutes couleurs !… C’est à en perdre la tête, en vérité, et je me surprends quelquefois avec un véritable découragement. N’importe, il faut faire son devoir tout entier, quand même, et celui qui n’a pas craint d’affronter les tempêtes pendant quarante ans, ne reculera pas devant une avalanche de lettres… » — Lettre de M. Béchameil à M. Babaud-Praisnaud.

    M. Béchameil, ayant pratiqué la mer toute sa vie, distingué dans son état, grand parleur, désireux de marquer sa place à la Chambre, dévoué à la personne de Louis-Philippe, dont il avait plusieurs fois commandé le vaisseau de plaisance, s’inquiétant peu des questions théoriques, et prêt à seconder le sous-préfet dans toutes ses demandes relatives à l’administration, pourvu qu’il en rejaillit quelque renom sur sa personne, il offrait un mélange étrange de bonhomie et de présomption. En somme, il n’était pas fait le moins du monde pour le métier de législateur, et s’il n’avait pas eu la malencontreuse idée de se fourrer dans la bagarre électorale, il n’aurait probablement pas perdu sa position de marin en 1848, et il serait sans doute aujourd’hui vice-amiral.

    Source : Études historiques et administratives, de Léonide Babaud-Laribière.

  • Une victime de la loi de sûreté générale du Second Empire dans le département de la Charente.

    Le citoyen Paul Chazaud avait déjà été arrêté après le 2 décembre 1858 et transporté en Afrique. Il était de retour depuis un an environ lorsqu’il fut, après l’attentat Orsini, victime d’une nouvelle persécution.

    Tous les gens qui l’ont connu, à quelque parti qu’ils appartiennent, ne l’avaient jamais considéré comme un homme dangereux; doux et honnête, il était estimé de tous.

    Les Chazaud sont une des familles les plus anciennes, et les plus distinguées de la Charente. Sans remonter plus haut que la fin du dix-huitième siècle, nous trouvons deux frères, l’un général de brigade et l’autre membre de la Convention nationale. Le citoyen Chazaud, le Conventionnel, avait trois fils, l’aîné receveur général à Poitiers, le cadet juge de paix à Chabanais, le troisième officier de cuirassiers sous la Restauration et maire de Confolens (Charente), après 1830. MM. Auguste Chazaud, ancien receveur général à Arras, aujourd’hui retiré au chateau de Boisbuché, et Jules Chazaud, ancien représentant du peuple à la législative de 1849, sont fils du receveur général de Poitiers. Le citoyen Paul Chazaud, dont nous parlons, était fils du juge de paix de Chabanais.

    Après son arrestation, en 1858, le citoyen Chazaud fut transporté en Afrique et interné à Tlemcen. A son retour après l’amnistie, il vint dans son pays, recueillir les débris de sa fortune, et reprit cette fois volontairement le chemin de l’exil. C’était désormais une existence à jamais brisée. Il vient de mourir il y a deux mois à Lausanne (Suisse), où il occupait un modeste emploi dans une administration de bateaux à vapeur. Comme le faisait remarquer Les lettres charentaises en annonçant sa mort « quels remords ne doivent pas avoir aujourd’hui ceux qui par zèlè ou par peur ont causé l’exil, la ruine et la mort de cet honnête homme ! »

    Source : Les suspects en 1858, d’Eugène Ténot.

  • Lettre du général Rivaz aux représentants du peuple Dubois-Crancé et Gauthier, le 3 octobre, l’an II de la République une et indivisible.

    « Impossible de vous faire passer un détail exact de la journée du 29 parce que, malgré mes demandes réitérées… Valette ne m‘envoie pas plus son état que les chefs de bataillon de ma colonne. Je crois cependant avoir la certitude que nous avons pris quinze pièces de canon… Nous avons eu, à peu près, deux cents hommes de tués ou de blessés. Je réclame et l’armée entière réclamera sans doute avec moi le grade de général de brigade pour le citoyen Villemalet chef de bataillon de la Charente et, sans doute, vous ne tarderez pas à récompenser sa conduite particulière et celle de son bataillon dans la journée du 29, dont on ne connaîtra jamais le mérite autant qu‘on devrait le faire, car les volontaires nationaux y ont fait des choses extraordinaires et pour l‘intelligence et pour la bravoure. Un de ces volontaires de la Charente a combattu au pont de Perrache avec un coup de fusil dans le bras et, certes, le feu qui s‘est fait au pont de Perrache n’étoit pas mince. J’étois spectateur faisant tirer du huit sur la cavalerie lyonnoise et je servirai longtemps avant de revoir un feu aussi sûr et aussi nourri. »

    Source : Saint-Etienne et son district pendant la Revolution, de Jean-Baptiste Galley.

  • Lettre de Colbert à M. Dorieu, intendant à Limoges

    Paris, 10 janvier 1670.

    « Je vous envoye un mémoire qui m’a esté donné, par M. Daguesseau, des forests de la généralité de Limoges, contenues sous deux siéges de maistrises particulières, l’une de la basse Marche, et l’autre d’Angoulême. La première n’a dans sa dépendance qu’environ 3,300 arpens de bois, que le Roy désire remettre en valeur et faire ensuite conserver avec soin. Cependant, pour y parvenir il est nécessaire de faire receper les endroits pillés et abroutis, resemer les places vides; et mesme, pour establir un bon ordre pour l’avenir, il faut connoistre la qualité du bois dont elles sont plantées, leur ancienne consistance, leur situation, réunir les usurpations qui ont esté faites, et ensuite les faire arpenter et borner; ainsy il est nécessaire qu’elles soyent visitées très-exactement.

    Comme je doute que les affaires dont vous estes chargé vous le puissent permettre, je.vous enverray dans quelque temps un de ceux qui ont esté employés à la réformation des forests de quelque département, et qui l’ont faite avec succès, pour travailler à faire celle des forests de cette maistrise, conjointement avec vous ou séparément, ainsy que vous le jugerez à propos.

    Ce pendant vous donnerez, s’il vous plaist, les ordres nécessaires pour les faire conserver soigneusement pendant l’hyver, et empescher qu’il ne s’y commette aucun délit.

    La maistrise d’Angoulême a, dans sa dépendance, cinq ou six forests, dont la principale est celle de Braconne, fort considérable, tant par son estendue, qui est de 14 à 15,000 arpens, que par sa situation, estant proche de la rivière de Charente qui tombe à vingt lieues de là dans la mer. Et, comme sa conservation est très-importante, vous prendrez, s’il vous plaist, vos mesures pour vous rendre à Angoulême, après avoir fait le département des tailles de vostre généralité, pour en faire vous-mesme la visite, dresser exactement vostre procès-verbal de l’estat , qualité, nature, essence et âge du bois de chacun triage; vous ferez en sorte d’en connoistre l’ancienne consistance, et s’il n’a point esté fait aucune entreprise ni usurpation sur le corps d’icelle; et, en cas que vous reconnoissiez qu’il en ayt esté fait, vous ferez toutes les procédures nécessaires pour donner la réunion. Vous la ferez ensuite borner en toute sa circonférence, après en avoir fait faire l’arpentage et la figure; vous vous ferez représenter les titres de ceux qui prétendent avoir droit d’usage, dont vous dresserez procès-verbal et donnerez vostre avis. Et comme ce travail sera long, et que difficilement vos autres affaires vous peuvent permettre de consommer cet ouvrage, je vous enverray, dans le commencement du printemps, encore un autre commissaire pour le suivre jusqu’à sa perfection. »

    Source : Lettres, instructions et mémoires de Colbert, volume 4.

  • Dépêche de notre correspondant, Angoulême, 28 juin.

    Je vous envoie des détails qui viennent de m’être communiqués du sujet des années d’en fance de l’éminent homme public que fut M. Carnot. Ces détails sont peu connus et ils intéresseront, je l’espère, les lecteurs du Petit Journal.

    La famille maternelle de M. Sadi Carnot est originaire de Chabanais (Charente), où le président lui-même, dans ces derniers temps, possédait des domaines. Chaque année, pendant son enfance et sa première jeunesse, il venait passer ses vacances au château de Savignac.

    Suivant le désir de ses parents, qui suivaient en cela les idées de Jean-Jacques, ce temps était employé par le jeune Carnot et par son frère à apprendre la charpenterie et la menuiserie, au milieu même des ouvriers, pour pouvoir au besoin, si les circonstances devenaient défavorables et venaient changer leur position, faire face à l’adversité.

    Mme Carnot, en femme supérieure, tenait même essentiellement à ce que ses enfants partageassent le repas frugal de leurs compagnons de travail, sans qu’aucune faveur y fût ajoutée, comme le racontait bien souvent une bonne vieille femme chargée autrefois de faire la cuisine aux ouvriers des chantiers où travaillaient les enfants Carnot.

    C’est aussi à Chabanais, dans la vieille église de Grenord, que les deux frères Sadi et Adolphe Carnot ont fait leur première communion.

    Tous les ans, encore, Mme Carnot mère, accompagnée de son fils Adolphe, de Mme A. Carnot et de leurs enfants, continue de venir résider deux ou trois mois en Charente, à Savignac, qu’elle ne quitte jamais sans regret, comme elle l’a manifesté bien souvent à son entourage.

    Cette bonne mère témoignait tout dernièrement, hélas ! son impatience et son désir de voir approcher l’époque où finirait le mandat de son fils, et où M. Carnot, rendu à la vie de famille, pourrait prendre les soins que réclamait sa santé bien éprouvée, et jouir enfin d’un repos relatif si bien mérité, tout en aidant toujours sa patrie (ce à quoi il lui aurait été impossible de renoncer) de ses efforts, dè ses conseils et de sa haute expérience.

    On voit combien M. Sadi Carnot tenait à Chabanais par ses liens de famille et par ses souvenirs d’enfance. Aussi les habitants, de cette petite ville ignorée — ils sont orgueilleux de le rappeler — semblaient-ils voir rejaillir sur eux comme un peu de la gloire de celui qu’ils considéraient au fond du cœur comme leur au guste enfant d’adoption.

    L’acte de sauvagerie inouïe qui vient d’atteindre le président et de mettre en deuil la France entière a été bien profondément senti, tout spécialement, dans ce petit coin de la Charente. L’affliction y est déchirante. On y pleure le coup, affreux arrivé à la famille si sympathique qui a toujours, et avec tant de coeur, pris part à tous les événements, heureux ou malheureux, de ses habitants.

    (Journal Le Petit Journal, 29 juin 1894)