Généalogie Charente-Périgord (GCP)

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  • Àsix lieues d’Angoulême, sur la route de Limoges, au nord de la Tardoire, affluent de la Charente, la petite ville de la Rochefoucauld est assise. On y remarque un château de la Renaissance, avec quatre tourelles rondes, coiffées d’un cône, à chacun de ses angles, et un beffroi, plus élevé et plus ancien que tout le reste.

    Il fut un temps où, dans cette ville et dans ce château, on célébrait le culte protestant auquel appartenaient, et le seigneur, et presque toute la population.

    Mais là, comme partout en France, l’intolérance cléricale, par la violence ou la corruption, pervertit les uns, y compris les seigneurs, chassa ou décima les autres. Après la révocation de l’édit de Nantes, on dit de la Rochefoucauld: — « Il n’y a plus de protestants. » Soit, mais que de nouveaux catholiques!… et parmi ceux-ci, combien de faux convertis !

    Dans la liste de 66 protestants « traînés sur la claie ou dėterrés et jetés à la voirie », que les frères Haag ont insérée dans les Pièces justificatives de la France Protestante (X, 433), il n’y en a pas moins de 6 de la Rochefoucauld, savoir Matthieu Albert, dit Peruset; — Abraham Cambois; Marthe Marvaut; — Débora Mignot; — Jacques Poulignat ou Pontignac; — Rachel de Renouard, dame de la Framerie, — noms glorieux dont on retrouvera certainement l’histoire, car les frères Haag ne les inscrivaient pas sur leurs listes sans preuves.

    De ces nouveaux convertis, il en restait encore en 1694. D’aucuns même, paraît-il, n’avaient jamais « plié le genou devant Baal », assez courageux pour braver la confiscation et la prison plutôt que de participer aux sacrements de l’Église du pape.

    Et cependant s’il y a des circonstances où la volonté chancelle, c’est bien lorsque les sollicitudes de l’amour viennent s’ajouter aux considérations de la prudence : ligue du cœur et de l’intérêt pour faire capituler la conscience; dissolvant des énergies morales; fauteur des chutes.

    Eh bien, non! Il s’en trouvait qui, amoureux, et voulant fonder une famille, acceptaient pourtant de risquer la séparation, le déchirement des cœurs et des liens intimes, la prison pour soi, voire pour lui ou pour elle; le stigmate, selon le monde, pour eux et pour leurs enfants, avec la ruine par suite d’une législation inique; la situation illégitime et fausse avec les épithètes injurieuses des gens hypocrites et les désignations insultantes et bêtes de la loi.

    Oui, tout cela prévu, risqué, plutôt que le confessionnal, l’hostie, le latin et toute la mimique du prêtre romain.

    Et cependant ils savaient bien qu’il serait difficile de donner le change et de se mettre à couvert par un mensonge, dont la responsabilité retombait d’ailleurs sur ceux qui l’imposaient par leurs odieuses persécutions; ils savaient bien qu’on ne les perdait pas de vue, et qu’on ne leur passait rien; que les espions et les dénonciateurs étaient nombreux, et que la délation s’élevait par la voie hiérarchique depuis le plus bas jusqu’au plus élevé, le plus élevé socialement, le moins moralement.

    Héros humbles et inconnus, ils plaçaient au-dessus de l’intérêt, le devoir; au-dessus des lois, la conscience; au-dessus de l’estime du monde, leur propre estime; au-dessus des hommes, Dieu ! Héros, ai-je dit, puisqu’il y a tant de lâches.

    Monsieur,

    J’ay été averti depuis peu qu’il s’était formé deux marriages de nouveaux convertis dans la petite ville de la Rochefoucaut, sans publication de bans, sans recevoir la bénédiction nuptiale, et sans que le curé d’aucunes des parties soit intervenu à ces nopces. Les parties ce sont absentées pendant trois ou quatre jours, et faisant courir un faux bruit qu’elles venaient de se marier dans un diocèse voisin, ont fait à leur retour un festin dans la famille, après lequel elles ont vécu ensemble comme si leur marriage eût été fait dans toutes les formes. Ils se remettent par là dans la pratique des usages de leur première religion, et il semble que le procédé étant toléré, surtout dans des personnes qui servent d’exemple aux nouveaux convertis de leur canton, introduirait parmi eux une liberté entière de se marier sans autre formalité que le contrat du notaire et de manquer aux saints devoirs de notre religion que le dessein d’un établissement les engage quelquefois à ne pas négliger.

    C’est pour ces raisons, Monsieur, que j’ay cru devoir vous en donner avis pour qu’il ne se passe rien dans mon diocèse de contraire aux intentions de Sa Majesté. Et que, si vous le jugez à propos, vous ayez la bonté de nous procurer les moyens d’arrêter ces sortes de désordres, qu’il n’est pas à propos de réprimer par des censures de l’Église, quand on a affaire à des gens qui ne demandent pas mieux que de s’en séparer. Si je ne souhaitais, Monsieur, que de me tirer d’embarras je supporterais volontiers que ceux des nouveaux convertis qui ne font aucuns devoirs de catoliques se mariassent entre eux sans l’entremise de qui ne peut leur donner ce sacrement, au moins sans un sujet vraisemblable de les croire véritablement convertis.

    J’attendray sur cela, Monsieur, l’honneur de vostre réponse pour ne point m’écarter, autant qu’il me sera possible, des volontés de Sa Majesté.

    Je suis avec tout le zèle imaginable,

    Monsieur,

    Votre très humble et très obéissant serviteur.

    C. G. Ev. d’Angoulême.

    Angme le 6 novbre 1694.

    Le charitable prélat joint à sa lettre ce billet, également autographe, afin de livrer les délinquants aux sévérités de la justice (!) royale :

    « Noms des personnes qui se sont mis ensemble dans la ville de la Rochefoucaut sans qu’il y ait eu célébration de mariage :

    René de Villemandy, médecin, demeure avec Marie Pasquet fille du nommé Pasquet, bourgeois de la Rochefoucaut, depuis le jour de la Toussaint dernière. Ils sont des plus aisés de ce lieu là, tous deux nouveaux convertis et ne faisant point les devoirs de catolique (sic).

    Etienne de l’Age, garçon taneur et Loïse Guillemeteau, tous deux nouveaux convertis, se sont aussi mis ensemble un peu avant la Toussaint; ils sont pauvres.

    On n’a peu obtenir d’eux qu’ils pratiquassent les devoirs de la religion catolique (sic). »

    Source : César Pascal.

  • De l’histoire des protestants de Massignac il ne nous est parvenu que quelques rares épisodes qui appartiennent au premier tiers du XVIIe siècle.

    Comme la Sudrye, Massignac était situé en Angoumois, mais jouissait du voisinage peu envié d’un prieuré ancien qui fut uni en 1604-1605 aux Jésuites de Limoges et forma dès lors un prieuré-cure à la nomination des révérends Pères. Le seigneur du lieu était alors Nicolas Chasteigner, baron des Etangs, d’une illustre famille dont une branche restée catholique, celle des La Roche-Posay, a donné plusieurs évèques au catholicisme. Une seconde branche, celle des seigneurs de Lindois, était calviniste et apparentée aux maisons de Pierrebuffière et de Rochefort. Messire Chasteigner de Lindois, quoique de naissance noble, ne dédaigna point de s’asseoir comme simple étudiant sur les bancs de l’Académie de Nimes. La troisième branche, celle qui va nous occuper ici, avait embrassé le calvinisme sur la fin du XVIe siècle, à l’instigation de dame Jaquette de Moussy déjà protestante, et avait favorisé ses progrès déjà anciens dans la contrée.

    On conçoit que Nicolas Chasteigner ne fut point d’humeur à payer aux Jésuites les dîmes ecclésiastiques qu’ils lui réclamaient sur certains domaines de son fief, en vertu de l’article 25 de l’édit de Nantes. Il en résulta, à partir de 1607, des hostilités plus ou moins déguisées qui amenèrent un procès. Ce procès dura plus de quinze années et se termina une première fois par la condamnation du baron des Etangs, 1620. Repris quelques années plus tard par le baron, puis par ses héritiers, il se prolongea jusqu’en 1670 et peut-être même au-delà, car la sentence finale n’est point connue.

    Un autre événement mit encore les adversaires aux prises. Dlle Jaquette de Moussy, mère de Nicolas Chasteigner, décéda en son château des Etangs, le 19 novembre 1617, assistée d’un ministre protestant. Le baron prétendit la faire inhumer dans l’église catholique où se trouvaient les tombeaux de ses ancêtres. Les Jésuites s’y opposèrent, mirent l’évêque de leur côté et refusèrent de livrer les clefs de l’édifice. Appuyé par quelques gentilshommes des environs, Nicolas Chasteigner fit forcer les portes de l’église et procéder à l’inhumation de sa mère au son de la cloche paroissiale. Le curé déclara l’église profanée et fit élever un mur autour du tombeau de la baronne. Mais les gens du baron des Etangs renversèrent ce mur et parurent un instant devoir garder le dernier mot. Les Jésuites s’adressèrent alors au parlement de Paris qui, par arrêt de 1620, ordonna d’exhumer le corps de la baronne en présence de son fils, et de le transporter hors de l’église et du cimetière de Massignac, ce qui fut exécuté.

    Cette scène déplorable montre assez quels sentiments animaient les deux partis à l’égard l’un de l’autre. Elle met aussi en lumière quelques-unes des difficultés que les stipulations de l’édit de 1598 avaient laissées subsister. La prétention du baron de revendiquer la sépulture de ses ancêtres dans une église que ceux-ci avaient peut-être bâtie de leurs deniers, comme cela se voyait en maint endroit, est assez explicable. Celle du clergé à repousser de ses sanctuaires quiconque méconnaissait son autorité spirituelle ne l’est pas moins. Il y avait là une opposition de droits que l’édit était impuissant à concilier et qui devait amener fréquemment des conflits du genre de celui que nous venons de constater.

    Quelques-unes de ces petites communautés calvinistes durent décéder vers 1645-1648, lorsque la jurisprudence se fut définitivement introduite de refuser l’exercice de leur culte aux églises de fief. Les troubles de la Fronde purent aussi hâter leur disparition.

    Source : Histoire de la réforme dans la Marche & le Limousin, d’Alfred Leroux.

  • Voici, extrait d’un registre paroissial d’Ecuras, le texte exact de l’abjuration de Jacob de Chevreuse, seigneur des Defaix, et de ses cousins, Elie et Marc de Chevreuse, seigneurs du Vallon.

    « Nous Jacob de Chevreuse seigneur du Defeix et Elie de Chevreuse et Marc de Chevreuse seigneurs du Valons avons abjuré de nostre propre volonté l’hérésie de Calvin nous la détestons de tout notre cœur, et nous promettons de vivre et mourir dans la foy de la religion catholique apostolique et romaine ce que nous avons juré sur les saints évangiles en présence des tesmoins souscrips en foy de quoy nous avons signé. Fait dans l’église d’Escuras à l’issue de vespres le lundy de Pasques le 28 mars 1701. Jacob de Chevreuse a déclaré ne scavoir signer « .

    Signatures de : Elie de Chevreuze et de M. de Chevreuze.

    Si les calvinistes étaient peu nombreux dans la paroisse d’Ecuras après la révocation de l’Edit de Nantes, une partie de sa petite noblesse et de ses propriétaires paysans avait résisté dans sa foi de longues années. Aux de Chevreuse se joignent les de Lambertie de La Montecaille, avec lesquels nous pouvons compter certains membres de la famille Delavallade qui abjurèrent environ à la même époque, entre autres rares résistants aux pressions catholiques.

    Qui étaient ces de Chevreuse, seigneurs des Defaix et du Vallon ? Dans le courant du 16ème s. un certain François de Chevreuse, écuyer, sieur du Montizon, épouse Prançoise de Lavaud. Ils sont vraisemblablement calvinistes. De leurs trois enfants, Marthe, Paule et Martial, ce dernier épouse le 2 février 1591 Marguerite Masson. Martial de Chevreuse est écuyer et sieur des Champs ou de Chambes. Il acquiert la seigneurie des Defaix où il s’installe.

    Parmi leurs nombreux petits-enfants ou arrières-petits-enfants, nous pouvons compter Jacob de Chevreuse qui abjure le protestantisme de sa famille le 28 mars 1701.

    Quant à ses deux cousins, Elie et Marc, tous deux seigneurs du Vallon, il nous est plus difficile de retrouver leur ascendance, bien que nous soyons assurés qu’eux aussi descendent de François de Chevreuse sieur du Montizon, et de Françoise de Lavaud.

    Les de Chevreuse posséderont des biens dans la paroisse d’Ecuras jusqu’à la révolution de 1789.

    Cette branche des de Chevreuse qui se démultiplie dans notre région depuis le 15ème ou le 16ème s. est apparentée à la grande famille de Chevreuse d’Ile de France.

    Les armes des de Chevreuse d’Angoumois sont : « de gueules au sautoir d’argent cantonné de quatre mollettes de même ». (Armorial Poitevin).

    Le logis noble des de Chevreuse des Defaix est bien difficile à localiser. Sans doute peut-on voir une fenêtre à meneaux et de très anciennes ouvertures chanfreinées et à défenses sur l’un des murs d’une maison totalement remaniée au 19ème s. (maison des Fils). Mais les vestiges qui nous semblent les plus intéressants se trouvent en façade d’un très ancien bâtiment, reconverti en grange, et situé tout près de la maison des Fils.

    Il s’agit d’une porte dont les montants ont été dénaturés, mais dont le lourd linteau de granit est sculpté d’un écusson avec monogramme. Nous y pouvons voir deux J, l’un pour Jacob, l’autre pour Jean. En effet, le père de Jacob de Chevreuse portait ce prénom.

    D’autre part, une très belle rosace, elle aussi sculptée dans le granit, fut intégrée au-dessus de la poutre qui sert de linteau à la porte cochère de cette même grange.

    En prolongement de cette grange, il existe une petite maison sans aucun caractère, mais qui a conservé une fort belle cheminée de granit, datable du 17ème s. avec un très important motif quadrilobé sculpté au milieu de son manteau.

    Quant au logis noble des de Chevreuse du Vallon, il a totalement disparu. Dans sa vaste grange actuellement rasée, on pouvait pourtant déceler des traces de son ancienneté.

    Mieux vaut ne pas parler du château de la Montecaille dont plus rien ne reste; portes, fenêtres, escalier à vis et autres beaux éléments architecturaux ont servi à donner un air ancien à une maison contemporaine, construite dans la région, voici quelques décennies.

    Nous allons tenter d’examiner les diverses raisons qui pouvaient conduire des huguenots à abjurer leur foi, un siècle environ après la fin des guerres de religion.

    Par l’Edit de Nantes, en 1598, Henri 1V met officiellement fin aux guerres de religion en accordant aux Protestants six libertés essentielles : l’exercice du culte réformé dans une ville par baillage, sauf Paris; l’admission des huguenots dans les écoles; leur admission dans la fonction publique; la réunion des assemblées; la représentation d’une chambre mi-partie dans les parlements; la maintenue d’une centaine de places de sûreté, dont La Rochelle, pour une durée de huit ans. Bien que la religion catholique soit rétablie dans toute sa puissance, certains réclament contre le libéralisme de Henri IV.

    Moins d’un siècle plus tard, Louis XIV, par la révocation de l’Edit de Nantes, supprime tous les avantages accordés par Henri 1V aux Protestants, le 17 octobre 1685.

    Le roi considère que les religions réformées mettent en péril l’unité du royaume et que les huguenots pratiquent un prosélytisme trop efficace, et il est fortement poussé dans cette voie par les Jésuites, assistés par Madame de Maintenon, l’épouse morganatique du roi.

    En fait, cette révocation de l’Edit de Nantes est l’aboutissement de mesures répressives prises à l’égard des Protestants depuis plus de vingt ans.

    La révocation de l’Edit de Nantes s’accompagne des mesures suivantes: suppression des temples et des écoles confessionnelles; interdiction des prêches, publics et privés; bannissement des pasteurs refusant de se soumettre, accompagné de leur déportation aux galères; baptême et éducation catholique rendus obligatoires pour les enfants des huguenots. Les religionnaires qui résident à l’étranger doivent, dans les quatre mois, regagner le royaume, et faute de quoi, leurs propriétés demeureront confisquées. Ceux qui sont restés dans le royaume ne peuvent franchir la moindre frontière, sous peine de condamnation aux galères pour les hommes, et d’emprisonnement et de saisie des biens pour les femmes.

    En conséquence de ces mesures répressives, on peut considérer que près de 200 000 Français calvinistes s’expatrièrent à la suite de la révocation de l’Edit de Nantes.

    Pour ceux qui refusent de s’expatrier, reste la seule solution dramatique de se convertir au catholicisme. Ces conversions ne vont pas sans déchirement, et nombreux sont ceux qui persistent secrètement dans leur foi.

    Si la haute noblesse calviniste a rapidement abjuré sa foi, bien avant même la révocation de l’Edit de Nantes, il n’en est pas de même des humbles et d’une certaine bourgeoisie, gens du peuple, paysans, petits hobereaux pauvres des campagnes. L’abjuration que nous présentons aujourd’hui est tardive, et prouve, s’il en est besoin, la force de la religion réformée dans le Montbronnais, force encore plus grande à La Rochefoucauld et ses environs.

    Nous ignorons à quelle date exacte fut fermé le temple de La Sudrie, paroisse du Lindois, autre centre calviniste actif.

    Pour hâter ces conversions, Louis XIV, fortement influencé par Louvois, conçoit un plan de répression armée : ce sont les dragonnades de sinis-tre mémoire. Ce procédé de persécution, rapidement étendu à tout le royaume, sévit d’une manière particulièrement cruelle dans le Poitou, le Béarn et le Languedoc. La Rochefoucauld et notre région immédiate connurent les excès sanglants des « missionnaires bottés ».

    Ce procédé des dragonnades consiste dans le logement forcé des soldats chez les Protestants. Leurs foyers sont alors surchargés de garnissaires qui vivent « à discrétion » chez eux, avec tous les excès que cela implique : pillages, viols, violences des tortures entraînant la mort. Aucune classe sociale n’est épargnée et les atrocités des Dragons font vite merveille. C’est ainsi qu’en Poitou, la dragonnade de l’intendant Marillac est suivie de 30 000 conversions en 1680. En dépit de nombreuses plaintes, l’influence de Louvois sur le roi est assez forte pour que les dragonnades soient renforcées, en 1685 particulièrement.

    Les dragonnades à La Rochefoucauld sont ainsi évoquées : Arrivèrent « deux compagnies de dragons rouges, conduites par le marquis d’Argen- son, lieutenant général d’Angoumois, et suivies le surlendemain de Mgr l’Evêque d’Angoulême et de l’Intendant, lesquelles firent convertir plus de 400 huguenots tant de la ville que des environs » . Ce déploiement de forces militaires et ecclésiastiques eut lieu le 29 septembre 1685, deux semaines avant la révocation de l’Edit de Nantes. (Annales de La Rochefoucauld, Curieux Récits, publiés par E. Biais dans S. A. H. C. 1870 page 411).

    Les pires exactions et crimes furent relatés pour certains d’entre eux. C’est ainsi qu’à Vilhonneur, le propriétaire du logis de Rochebertier, Antoine Pasquet, sieur de La Brousse et de Vilhonneur, fervent huguenot, fut lamentablement torturé :

    « Le sieur Pasquet, un des plus considérables bourgeois du lieu fut mis par les dragons dans un berceau comme un enfant; étant là, ils préparèrent la bouillie, la lui firent avaler toute bouillante et lui en couvrirent le visage; à quoi il ne put résister sans succomber ».

    (Livre de Raison de la famille de Lâge de Luget).

    Nous ignorons si les de Chevreuse des Defaix et du Vallon eurent à souffrir des dragonnades, mais il est certain que pour ceux des Defaix, du moins, la situation matérielle devint rapidement précaire. Quelque trente ans avant la révocation de l’Edit de Nantes, ces petits hobereaux paysans durent arrenter tous leurs biens.

    C’est Marguerite Masson, qui, après son veuvage, dut arrenter tous ses biens, y compris ceux des Defaix, à Jean Nadaillac de Galard de Béarn, en décembre 1655.

    Les Nadaillac de Galard de Béarn étaient catholiques, et par la suite, ils payèrent rarement et chichement les de Chevreuse qui continuèrent d’habiter aux Defaix.

    Les de Lambertie de La Montecaille connurent le même sort, huguenots ruinés qui perdirent tous leurs biens à la même époque.

    Dans l’ancien cimetière d’Ecuras, rasé au début des années soixante-dix, on pouvait remarquer quelques tombes de calvinistes datant du 18ème s. Orientées différemment des autres, des cyprès les ombrageaient.

    Sources : Autour d’Écuras, de Françoise Fils Dumas-Delage.

  • La plainte suivante, adressée le 1er août 1655 au Lieutenant Criminel en la Sénéchaussée et Présidial d’Angoumois par les dames de la famille de Chevreuse des Deffaix, met en scène une situation gravement conflictuelle entre deux familles huguenotes apparentées : les de Chevreuse des Deffaix et les de Chevreuse du Vallon, paroisse d’Ecuras.

    « Sur la requête à nous présentée par damoiselles Marguerite Masson, Catherine et Jeanne de Chevreuse ses filles, disant qu’elles sont en possession de jouir d’une métairie qu’elles ont au village des Deffaix en la paroisse d’Ecuras, laquelle elles font valoir par métayer et ayant fait sur une charrette de gerbes d’avoine, le métayer en la conduisant aurait été rencontré par plusieurs personnes sur le chemin avenant des Pies et sur cela, lesquelles par force et violence auraient emmené la charrette, les bœufs, le … et les gerbes en la maison du sieur du Vallon; et ont appris les dites suppliantes que ce sont le dit sieur du Vallon et son fils qui auraient fait et fait faire le dit vol ».

    Le vol de cette charrette, de ses bœufs et de son chargement d’avoine n’est qu’un des épisodes des méfaits du sieur du Vallon et de son fils qui n’hésitent pas à avoir recours à la violence pour nuire à leurs cousines, entravant leurs travaux agricoles par les moyens les plus odieux :

    « … et encore icelui sieur du Vallon d’animosité qu’il porte aux suppliantes, désirant avoir leur bien par force et violence, aurait à main armée et assemblées illicites empêché les suppliantes de faire labourer leur vigne , battre et ensemencer les labours et jeté iceux hors de ladite vigne, pour raison de quoi elles ont souffert de grands dommages et intérêts, les dites vignes étant demeuré en souche… »

    Le but du sieur du Vallon est clair : il veut s’approprier le bien de ses cousines « par force et violence ». Aussi, Marguerite Masson et ses deux filles, Catherine et Jeanne de Chevreuse, ne pouvant plus supporter les « excès, vols et violences » dont elles sont les victimes de la part du sieur du Vallon, demandent que des témoins soient entendus, que l’information soit faite, et portent leur plainte devant le Lieutenant Criminel d’Angoumois, afin que cette plainte et les dépositions des témoins soient « communiqués au Procureur du Roi ».

    Nous avons déjà rencontré ces deux branches de la famille de Chevreuse dans notre N° 11 de février 1992. La branche des Deffaix comme celle du Vallon avait pour armes : « de gueules au sautoir d’argent cantonné de quatre mollettes de même ». (Armorial Poitevin).

    Les seigneurs des Deffaix comme ceux du Vallon descendaient de François de Chevreuse, écuyer, sieur du Montizon, qui avait épousé dans le courant du 16ème s. Françoise de Lavaud.

    Leur fils, Martial de Chevreuse, écuyer, devint sieur des Champs ou de Chambes par son mariage avec Marguerite Masson, le 2 février 1597. Le fief de Chambes était possédé dès le 15ème s. par les Masson (paroisse de La Plaud).

    Martial de Chevreuse décèda entre 1626 et 1630, donc Marguerite Masson était veuve au moment du procès contre les de Chevreuse du Vallon. Elle décèdera elle-même en août 1658.

    Parmi les cinq enfants de Martial de Chevreuse et de Marguerite Masson, on compte Catherine qui épousa Pierre Noblet en 1634, et Jeanne qui épousa Isaac Mayou, sieur de Loisaud, en 1648.

    En 1656, Jeanne de Chevreuse et son mari habitaient aux Deffaix.

    Par ailleurs, nous savons que Marguerite Masson, huguenote, avait dû arrenter tous ses biens après son veuvage, y compris ceux des Deffaix, à Jean de Galard de Béarn de Nadaillac, catholique, par contrat de décembre 1655.

    D’autre part, le sieur du Vallon mentionné dans la plainte des daines de Chevreuse des Deffaix était Jean, écuyer, sieur du Vallon qui décéda en 1689. Il eut quatre filles et deux fils, tous deux prénommés Jacob.

    Nous savons que ces de Chevreuse, tant des Deffaix que du Vallon, étaient huguenots depuis au moins deux générations, et nous connaissons les difficiles conditions de survie réservées aux Protestants sous le règne de Louis XIV, bien avant même la révocation de l’Edit de Nantes. Que les biens de petits hobereaux huguenots fussent arrentés à un riche seigneur catholique n’a rien de fortuit.

    Il est bien difficile d’imaginer les causes et les conséquences de l’arrentement des biens des de Chevreuse des Deffaix, d’autant plus que les de Chevreuse du Vallon s’y trouvaient mêlés, ayant eux-mêmes arrenté partie ou totalité de leurs biens au même Jean de Galard de Béarn de Nadaillac.

    Les mentalités ne changeant guère, nous avons toutes raisons de croire que l’affrontement entre les deux familles de Chevreuse avait pour origine des problèmes d’intérêts plus ou moins inextricables.

    Sources : Autour d’Écuras, de Françoise Fils Dumas-Delage.

  • Les facteurs hollandais

    Ainsi, au début du XVIIe siècle, la Hollande importe du papier d’écriture et d’imprimerie de l’Allemagne, de la France, de la Suisse et de Gênes. La principale raison s’explique par l’impossibilité de trouver dans ce pays du papier fin manufacturé. Les centres de distribution privilégiés pour la Hollande sont Anvers et Cologne. Cependant, comme les prix deviennent excessifs, des intermédiaires hollandais ou facteurs (factors) viennent en France, s’installent à demeure, particulièrement en Angoumois, ouvrent des entrepôts et commandent du papier pour le marché hollandais. Ce qui est remarquable, c’est qu’au début de ces activités papetières, le papier porte des marques françaises, mais dès les années 1630, les papiers faits spécifiquement pour ce marché commencent à porter des marques hollandaises, avec des contremarques françaises. Par exemple, vers 1635 et à la demande des Hollandais, la marque aux Armes d’Amsterdam fait son arrivée et elle semble n’apparaître que sur du papier fabriqué en France pour le marché hollandais. Vers 1674, il semble que les Hollandais qui fabriquent du papier dans leur pays se sont mis à utiliser cette même marque. Ainsi, notre corpus comprend 9 documents (corpus : 5 et Baby : 4) portant la marque aux Armes d’Amsterdam. Cette marque « comporte trois croisettes de Saint-André dans un écu surmonté de la couronne moscovite accosté de deux lions ». Un de nos documents présente la marque avec les initiales A J en cursives sous le filigrane et, en contremarque, les initiales I (ou J) R (ou B) non encadrées. Les lettres A J désignent Abraham Janssen, facteur hollandais établi à Angoulême, que nous retrouvons un peu plus loin.

    Nous avons déjà brièvement décrit la vie sociale qui définit un ensemble papetier. Il est utile ici de préciser que trois à quatre catégories de gens gravitent en périphérie ou au moulin papetier. Sans ordre de priorité, nous retrouvons le(s) propriétaire(s) du moulin, le maître papetier, les ouvriers dont le nombre varie selon que le moulin comporte une ou plusieurs cuves et finalement le facteur qui joue le rôle d’intermédiaire entre le propriétaire et le maître papetier. Le facteur est, pour la plupart du temps, un bailleur de fonds, c’est-à-dire qu’il fournit le capital aux maîtres papetiers afin de faire fonctionner la (les) cuve(s). Le plus souvent il se contente d’acheter l’ensemble ou une partie de la production pour un an ou deux ans en assurant par des avances de trésorerie le fonds de roulement (le « cabal ») du papetier.

    Ces intermédiaires jouent donc un rôle crucial dans la production et l’exportation du papier et, comme propriétaires des moulins pendant cette période, ils engagent des maîtres-papetiers français qui, par extension, travaillent pour le marché hollandais. Le papier produit dans cette région tout comme dans les régions voisines du Périgord et du Limousin se retrouve, pour la majeure partie de sa production, sous le contrôle et financée par les marchands flamands établis dans cette partie de la France.

    Dynasties flamandes en Angoumois

    Des dynasties (ou familles) de marchands flamands sont propriétaires de moulins français et commercialisent le papier produit par les maîtres-papetiers français qu’ils ont engagés. Dans cette section, nous n’insistons que sur le nom des marchands flamands en relation avec les maîtres

    Les frères Christophe, Jean et Gaspard Vangangelt sont en Angoumois en 1636. Ils sont agents et négociants, entre autres, pour Girard Verduyn et Jean Gerritson d’Amsterdam. Christophe achète du papier de plusieurs moulins dont celui de Breuty, de Beauvais et de Nersac. Les Vangangelt vendent du « papier à des libraires ou des imprimeurs d’Amsterdam ». De nombreux procès opposent Christophe Vangangelt et Dericq Janssen au sujet du règlement des impôts sur le papier partant d’Angoulême à destination d’Amsterdam. Des arbitres sont choisis pour obtenir leur avis et Christophe Vangangelt choisit Philippe Gaultier, marchand bourgeois d’Angoulême, dont nous parlerons un peu plus loin. Vangangelt quitte Angoulême en mai 1647 et son frère Jean poursuivra les affaires, souvent au nom de Christophe.

    François (Frans) Van Tongeren est à Angoulême vers 1660. Il achète du papier pour Pierre Haeck et Gilles Van Hoven, marchands à Amsterdam. Sa deuxième épouse, Marie Gaultier, est la fille de Denis Gaultier, marchand d’Angoulême. Également banquier, il est propriétaire du moulin de Beauvais où il fait travailler, entre autres, le maître papetier Jean Villedary. En 1721, son frère Pierre est propriétaire du moulin de Cottier et de Saint-Martin et il travaille également avec Jean Villedary.

    Parallèlement à ces dynasties, des marchands individuels sont aussi actifs dans l’industrie papetière, mais la plupart d’entre eux retournent en Hollande après quelques années en France. C’est le cas d’Abraham Wesel et de Gilles Van Hoven dont nous reparlerons. En dépit du fait que le gouvernement français souhaite protéger son propre marché et tente de prévenir les succès d’Amsterdam comme distributeur principal du papier, certaines familles françaises participant au commerce du papier deviennent partenaires de familles flamandes dans ce type d’industrie. Ceci peut s’expliquer par le fait que la plupart de ces familles françaises sont protestantes ou huguenotes, tout comme les Flamands. Comme nous le verrons dans la prochaine section, l’exemple de la famille Gaultier, famille de marchands papetiers et de religion protestante, est éloquent à ce sujet.

    Source : Le papier voyageur, de Céline Gendron.

  • Au château du Fouilloux, qui constitue le logis le plus important de la paroisse d’Agris, vivent au début du XVIIe siècle les descendants de la famille Odet.

    a) Joseph Odet, fils de Nicolas, écuyer, seigneur du Fouilloux et des Houillères. Par contrat du 16 mai 1607, il épouse Marie Du Lau, issue d’une famille noble et ancienne qui serait originaire du Béarn. Venue du Périgord se fixer en Angoumois, la famille Du Lau a formé plusieurs branches. Blason : d’or au laurier à trois branches de sinople et un lion léopardé de gueules brochant sur le fût de laurier, à la bordure d’azur chargée de quinze besans d’argent. C’est Joseph Odet qui, en 1617, achète aux frères Delabrousse la métairie du village de La Brousse, « réservé auxdits vendeurs leur droit d’exploit dans la forêt de Quatre-Vaux, avec les bœufs de ladite métairie ».

    En 1626, il signe un testament par lequel il donne l’usufruit de ses biens à demoiselle Marie Du Lau, sa femme, « à la charge de nourrir et d’entretenir les enfants dudit testateur et d’elle ».

    Il habite Le Fouilloux avec une sœur, Perrine Odet, mariée à Marsaud Béraud, décédée avant 1633, date du mariage de sa fille Marguerite avec René Massias, de Chantrezac. Il signe avec Marie Du Lau le contrat de mariage d’Antoine Ravion et Marguerite Picard en 1627, de Jacques Marchadier et Perrette Delabrousse en 1637. Joseph Odet vit encore en 1649.

    Il a deux fils : Charles-Isaac, écuyer, seigneur du Fouilloux, qui suit ; François, écuyer, sieur des Houillères, qui comparut au ban de 1635 « au lieu de Joseph Odet, sieur du Fouilloux, son père ».

    b) Charles-Isaac Odet, écuyer, seigneur du Fouilloux, y demeurant, épouse le 21 mars 1632 dame Suzanne de Lescours, fille de Messire François de Lescours, baron de Savignac.

    Le 29 juillet 1663, il passe « une convention avec les notables habitants de la paroisse d’Agris au sujet de la métairie du Fouilloux, appartenant à la communauté de ladite paroisse, que ledit du Fouilloux faisait valoir depuis de nombreuses années ». En 1668, par contrat d’échange, il cède à Pierre Mayoux, sergent, et ses parsonniers, une pièce de trois rangs (de vigne), située aux Landes-du-Fouilloux, et reçoit en retour une pièce de terre et bois taillis, sise au Pré-Fauveau, sur la rivière de Belonne, en la paroisse de Rivières. Sa femme et lui font cession, le 22 mai 1671, à dame Jeanne de Lescours, dame de Lauvancourt (?) de Lestang, « de présent audit lieu du Fouilloux », d’un créance de quatre cents livres sur les biens dépendant de la succession de feu messire François de Lescours, seigneur baron de Savignac.

    Gentilhomme huguenot, le fait le plus important de sa vie est, sans conteste, d’avoir été commis par le roi Louis XIV pour recevoir les plaintes faites par ses sujets sur les contraventions à l’Edit de Nantes. Deux commissaires furent choisis : pour les catholiques Hélie Houlier, lieutenant général ; pour les protestants Odet du Fouilloux et des Houillères, « pour les pays de Xaintonge, Brouage, Aulnis, ville et Gouvernement de La Rochelle, tant à l’Edit de Nantes et à celuy de 1629, qu’aux déclarations données et consenties et y pourvoir ainsy qu’il sera nécessaire et j’envoy pour cet effect au dit sieur Houlier la commission que j’ay faict expédiée. Je vous ay voulu faire cette lettre pour vous en donner advis et vous dire de vous rendre au jour et au lieu qu’il vous marquera, assister, conférer ensemblement des choses que vous et luy aurez à faire pour celles que je vous ordonne. Vous assurant que les services que vous me rendez en ceste occasion me seront en très particulière considération et que je les reconnoistray par les effects de ma bienveillance en tout ce qui s’offrira pour vostre bien et advantage. Cependant je priray Dieu qu’il vous ayt, M. du Fouilloux, en sa saincte garde. » Escript à Paris, le 20e jour de May 1663. Signé : Louis. Et plus bas : Phelipeaux. Et au dos est escript : Monsieur, Monsieur du Fouilloux. Le dit jour, 7 avril 1664, la lettre de cachet cy-dessus a esté enregistrée, requerant le dit sieur du Fouilloux auquel l’original a esté rendu par moy. Signé : Dubois, Greffier ».

    C’est en cette qualité de commissaire du roi qu’on voit Charles-Isaac Odet rendre, le 28 juillet 1664, l’ordonnance suivante : « Défense à toute personne de troubler les habitants dudit lieu (La Rochefoucauld) dans l’exercice de la religion P (rétendue) R (éformée) dans le temple et dans les fonctions du collège dont ils jouissent maintenant sous les peines portées par les édits et les déclarations du roi ».

    Deux ans après, Odet, sieur du Fouilloux, paroisse de Griparentier, figure dans la Maintenue d’Aguesseau (1666-1667). Il s’agit sans nul doute de ce Charles-Isaac qui vit encore en 1682.

    Sa mort se situe entre 1682 et 1684. Il laisse au moins trois enfants : un fils, Isaac, qui suit ; deux filles, Marie et Jeanne. Par le mariage des deux filles, la famille Odet s’allie à la famille de Goret, famille noble originaire de Champagne-Mouton, et établie du XVIe siècle à la fin du XVIIIe dans la région de Ruffec, Civray, Poitiers. Blason : d’argent à la fasce de gueules, à trois têtes de sangliers arrachées de sable, languées du second, mirées du premier. Les deux frères de Goret appartiennent à la branche des Fourniers.

    Marie Odet épouse Louis de Goret, écuyer, seigneur des Fourniers, y demeurant, paroisse de Messeux, fils de feu Joseph de Goret, vivant écuyer, et de demoiselle Elisabeth Dexmier. Il avait abjuré le protestantisme à l’âge de 22 ans, en l’église Saint-Cybard de Poitiers, le 1er juillet 1685. Le contrat de mariage avec Marie, « fille de feu Charles Odet », est signé au château du Fouilloux, le 8 novembre 1686, « en présence de nombreux parents et amis qui ont signé ».

    Louis de Goret meurt entre 1691 et 1694. Marie Odet, en 1708, cède à François-Isaac Odet, chevalier, écuyer, sieur du Fouilloux, son neveu, tous les biens qu’elle pouvait avoir dans la succession de son mari. En 1710 François Odet est dit son héritier sous bénéfice d’inventaire quand, à sa requête, est dressé un inventaire des meubles dépendant de la succession de Marie Odet.

    Jeanne Odet a épousé le frère de Louis, Antoine de Goret, écuyer, seigneur de La Barrière. Ce dernier, « tant pour lui que pour dame Jeanne Odet, sa femme, et dame Marie Odet, sa belle-sœur », signe en 1694 un bail à ferme d’une tuilerie sise au village des Houillères. En 1693-1694, Antoine de Goret et Jeanne Odet demeurent ensemble au lieu de La Fillenie, paroisse de La Chapelle-Chabossan, en Poitou. Ils vivaient encore le 13 mars 1710, date à laquelle Antoine de Goret, « à cause de demoiselle Jeanne Odet, sa femme », passe avec son neveu, François Odet, chevalier, seigneur du Fouilloux, un bail à ferme à Jean et Bernard Delord, tuiliers de Coulgens, de la tuilerie des Houillères.

    c) Isaac Odet, écuyer, seigneur du Fouilloux, Les Houillères et Les Ombrais, épouse le 20 février 1655, Anne de Villemandy, fille de feu Philippe, en son vivant avocat au Parlement de Paris et de Renée Dulignon. « Le contrat de mariage est passé dans la grande salle du château de La Rochefoucauld, en présence du duc de La Rochefoucauld François VI, l’auteur des Maximes, d’Anne de Vivonne, sa femme, de deux de leurs enfants et des principaux habitants de la ville et des environs, huguenots bien entendu. Ce contrat est une véritable page d’histoire locale pour la ville et les environs ».

    Isaac Odet, le 27 janvier 1664, achète le château des Ombrais à Jacques de La Croix, écuyer, seigneur des Ombrais. Ce dernier et sa femme, Angélique de Massacré, échangent leur maison et seigneurie des Ombrais contre la somme de six cents livres de rente constituée, cédée par le seigneur du Fouilloux et des Houillères. La remise à l’acquéreur des papiers et titres de propriété concernant ce fief sera faite par Angélique de Massacré devenue veuve, le 6 février 1680.

    Isaac Odet meurt entre 1688 et 1691, laissant six enfants, trois fils et trois filles : — François-Isaac, écuyer, chevalier, seigneur du Fouilloux, héritier de sa tante Marie Odet. Le 2 février 1719, il loue à Jean Nollet, marchand, demeurant au bourg de Coulgens, la tuilerie sise au village des Houillères, paroisse de Rivières. — Charles-Isaac, écuyer, seigneur des Ombrais, qui suit. — Jean, écuyer, seigneur des Houillères, demeurant au Puy-de-Lavaud en 1671, aux Ombrais en 1673. — Marie-Suzanne, mariée par contrat du 8 mars 1687 à François-Samuel de Devezeau, écuyer, sieur de Crésier, fils de François de Devezeau, écuyer, sieur de Rancougne (Rancogne) , et de feue demoiselle Marie Pasquet. Ils eurent sept enfants dont Jean-François de Devezeau dont il sera parlé plus loin.

    Catherine, mariée par contrat du 24 août 1695 à Jean Jordin, écuyer, sieur du Rousle, fils de feu Jacques Jordin et de demoiselle Gabrielle de Fisier. On sait par les registres paroissiaux d’Agris que Jean Jordain, alors sieur de La Prèze, décéda « de mort violente » au logis du Fouilloux le 19 avril 1719, et qu’il fut enterré dans l’église d’Agris le 20, « après visite et procès-verbal de son corps ». — Marie, protestante, enfermée à l’Union chrétienne d’Angoulême, où elle vivait encore en 1715.

    d) Charles-Isaac Odet, écuyer, seigneur des Ombrais, épouse le 20 septembre 1679, Anne Pasquet, fille de feu Henri, seigneur de Lage-Baston, et de Marguerite Morel. Le mariage fut célébré en l’église réformée de La Rochefoucauld.

    Louis XIV révoqua l’Edit de Nantes le 15 octobre 1685. Peu avant cette date, le 29 septembre 1685, arrivèrent dans la ville de La Rochefoucauld « deux compagnies de dragons rouges, conduites par le marquis d’Argenson, lieutenant général d’Angoumois, et suivies le surlendemain de Mgr l’Evêque d’Angoulême et de l’Intendant, lesquelles firent convertir plus de 400 huguenots tant de la ville que des environs ».

    Les Odet, malgré les persécutions, restèrent dans le sein de la Religion Réformée. Moins de deux ans après, Charles-Isaac Odet, seigneur des Ombrais, devait périr assassiné ainsi que le relate H. de Montégut : « Le 5 mai 1687, le seigneur des Ombrais se rendait à cheval aux Lignons entre quatre et cinq heures. Il avait eu à se plaindre d’un domestique que le sieur Laforcade, horloger audit lieu, avait pris à son service. Que se passa-t-il alors ? Ce que nous savons, c’est que, peu de temps après, il fut rencontré par plusieurs témoins sur le chemin des Ombrais, distant des Lignons d’une demi-lieue, la tête couverte de sang, auxquels il n’eut la force que de dire ces mots : « Les valets de Laforcade m’ont tué ».

    A peine arrivé aux Ombrais, on le descendit de cheval ; il fut étendu sur son lit par le métayer Delasge, et rendit le dernier soupir. Sa femme, Anne Pasquet, aussitôt prévenue, le fit transporter à Lage-Baston, sa demeure ordinaire, et enterrer dans son jardin, sans cérémonie religieuse.

    Si la paroisse d’Agris n’a pas été le témoin de ces faits, ils se sont passés vraiment tout près et la victime portait le nom des seigneurs du Fouilloux.

    Charles-Isaac Odet laissait quatre enfants : — Isaac, mort au Fouilloux sans postérité, « de mort subite ». le 2 mars 1729. A noter dans l’inventaire de ses pauvres meubles après son décès, une épée à poignée d’argent et quelques pistolets. — Sarah, protestante exilée, vivante encore en 1721 : à cette date, en effet, il est fait mention d’un bail à ferme par messire Samuel-François de Devezeau, fondé de procuration spéciale de messire Jean-François de Devezeau son fils, « du lieu de La Patardière, appartenant à demoiselle Sara Odet, demoiselle des Ombrais, fugitive du royaume à cause de la religion, duquel lieu ledit de Devezeau a été pourvu comme plus proche parent de ladite demoiselle ». — Anne, baptisée le 24 mars 1686 dans l’église de Saint-Projet. — Suzanne, née après la mort de son père et baptisée le 5 juin 1687. Décédée au Fouilloux en 1742.

    e) Jean-François de Devezeau.

    Le dernier descendant mâle des Odet étant mort sans postérité, le domaine du Fouilloux passa à la famille de Devezeau.

    Cette famille, d’ancienne noblesse féodale, est originaire de l’Angoumois où se trouve le fief de Devezeau, paroisse de Saint-Angeau.

    Armes : d’azur à la fasce d’argent, au chef denché d’or de cinq pointes, et une étoile d’or en pointe.

    Jean-François de Devezeau hérite des droits de sa mère, Marie-Suzanne Odet. Il était écuyer, seigneur de Rancougne, Le Fouilloux, Les Ombrais, chevalier de Saint-Louis, brigadier des gardes du roi.

    En 1735, un procès-verbal est dressé « à la requête de Jean-François de Devezeau de Rancougne, l’un des gardes du corps de sa Majesté, demeurant au lieu noble des Ombrais, paroisse de Saint-Constant, au sujet de dégâts commis dans la garenne, fief et seigneurie du Fouilloux ».

    Le 14 avril 1740, il vend Les Ombrais à Jean de Bertin, conseiller du Roi en tous ses conseils, maître des requêtes de son hôtel, baron et comte de Bourdeille, seigneur de Brantôme. En 1744, il fait un bail à moitié des fruits de sa métairie de La Porte-du-Fouilloux, à Pierre Boutinon, laboureur ; en 1747, un bail à moitié des fruits de sa métairie du Puy-de-Lavaud, à Pierre Mathieu, laboureur.

    Décédé au logis du Fouilloux « de mort presque subite », il est enterré dans l’église d’Agris, le 2 avril 1750.

    f) Jean Jordin (ou Jordain, ou encore Jourdain), fils de Catherine Odet, écuyer, seigneur de La Prèze en Rouzède, est héritier sous bénéfice d’inventaire de feu Jean-François de Devezeau, son cousin germain, dans le bail à ferme qu’il passe en 1751 de la métairie du Puy-de-Lavaud.

    Jean Jordain est déclaré seigneur du Fouilloux, ancien garde du corps du Roi, demeurant au Fouilloux, paroisse d’Agris, le 11 mai 1762, quand Abraham Gadon, marchand, Jacques Gréaud aussi marchand et Antoinette Gadon, sa femme, lui cèdent leurs parts d’une pièce de terre dans laquelle est un four à tuiles, sis en la paroisse de Rivières, à côté de la tuilerie dudit acquéreur.

    Le 12 mars 1766, il fait un bail à ferme de sa tuilerie des Houillères à Léonard Laversanne, tuilier. Nous le voyons encore le 21 mars 1773 passer un bail à ferme des tuileries et four à chaux des Houillères. C’est la première fois qu’un four à chaux est signalé aux Houillères.

    Marié à dame Marguerite Julie de Villeneuve de l’Eschelle, Jean Jordain eut deux filles, Suzanne et Julie, née en 1735 et 1738, qui épousèrent, la première Joseph Arondeau, Sieur de Chabrignac, en l’église d’Agris, le 19 février 1759 ; la deuxième Jean Mosnier ou Mousnier, ancien « gens d’armes », Sieur de La Coste, dit écuyer en 1779. Jean Jordain appose sa signature, souvent en tant que parrain, au bas des actes de baptême de ses petits-enfants nés au logis du Fouilloux et baptisés entre 1761 et 1781. Il signe le plus souvent Laprèze ou Laprèze Dufouilloux.

    En 1771, il est parrain, à Rivières, du fils d’un laboureur, sa petite-fille, Rose Arondeau, âgée de dix ans, étant la marraine. Ses filles meurent au logis du Fouilloux : Julie, âgée de quarante-six ans, en 1784 ; Suzanne, veuve Arondeau de Chabrignac, en 1785, à l’âge d’environ cinquante ans. Toutes les deux sont inhumées au cimetière paroissial d’Agris. M. de La Prèze vit encore le 27 juillet 1788, date où il fait un versement de 60 livres aux Sœurs Hospitalières de La Rochefoucauld, acompte pour les arrérages qui leur sont dus d’une rente de 50 livres d’intérêt.

    Nous arrivons aux années qui précèdent la Révolution. Ainsi, pendant plus de deux siècles, la famille Odet et ses descendants est l’une des familles nobles les plus en vue d’Agris et de la région par ses actes et surtout par ses alliances, et aussi par le rôle que jouèrent certains de ses membres dans l’histoire du protestantisme en Angoumois.

    Source : Notes historiques sur Agris, de Jane Marcelle Delahaye.

  • L’an 1568, le 7 juin, l’amiral de Coligny prit Engoulesme par composition. Il permit à ses soldats mile fortes d’inhumanitez, sur tout contre les écclésiastiques. Ils y tuèrent à coups de dagues le Père René Poivet prieur des Jacobins ; ils jettèrent dans les latrines le Père Avril Cordelier, âgé de près de 80 ans ; ils massacrèrent aussi leur gardien le Père Michel Grelet, & plusieurs autres tant religieux que prestres séculiers, Mais leur inhumanité ne s’arresta pas sur les seuls gens d’Eglise, ils étranglerent dans sa maison le lieutenant général du Présidial, appellé Jean Arnaud, & trainèrent par les cheveux dans les rues la veuve du lieutenant criminel, qui estoit sexagénaire.

    En mesme temps ils deterrèrent le corps du bienheureux Jean comte d’Engoulesme, surnommé le Bon, l’ayeul de François I, décédé depuis cent ans ; & quoy qu’ils l’eussent trouvé encore tout entier dans la sepulchre, ils ne laisserent pas de le trainer ça & là, & de le mettre en pièces.

    Ils disoient pour s’excuser qu’ils ne faisoient cela qu’afin de couper le chemin à l’idolâtrie ; mais ils ne s’obstinoient pas de faire le mesme, & encore pis aux autres corps, non estimez Saints, car ils arrachèrent de terre à Orléans le coeur de François II, & le jettèrent au feu, firent manger aux chiens le corps du comte de Dunois, appelé Jean bastard d’Orléans, & réduisirent en cendre celuy de Louis XI, à Notre-Dame de Cery.

    Source : Histoire générale de tous les siècles de la nouvelle loy, de Pierre Lenfant.

  • A l’est de la Rochefoucauld, lorsque le calcaire s’efface devant le schiste, lorsque les terres « brûlantes » de la plaine font place aux terres froides du pays limousin, le minerai de fer se rencontre à l’état natif sous forme de peroxyde. « Ferrière », « Ferrières », « La Ferrerie » (en bordure de Quatrevaux), « Les Minerais » (Fleurignac, le Chatelars), « les Trous Minéraux » (entre Lussac et Suaux), autant de lieux-dits qui témoignent de l’ancienneté des forges dans la partie orientale de l’Angoumois.

    Ernest Vincent pouvait écrire en 1898 :

    Il y a une trentaine d’années encore, on extrayait dans une commune voisine, près de Fleurignac, de grandes quantités de fer, de pyrites que l’on expédiait à la forge de Ruelle (1).

    En second lieu un important massif forestier, les forêts de Quatrevaux, Boisse, la Braconne pour citer les plus importantes, apportait aux forges voisines le combustible nécessaire. Bois jalousement surveillé, convoité par l’industrie locale, forges, tanneries, tuileries, verreries, tonnellerie. C’est l’énergie première avec l’eau mais l’eau est présente au détour de chaque rivière et sa force est surabondamment sollicitée.

    La forge, la « forge à fer » comme cela se dit à l’époque pour la distinguer de l’atelier du maréchal, — faure ou faurie en dialecte local —, est née de cette triple présence : l’eau, le bois et le minerai de fer.

    L’industrie des forges est présente depuis des temps anciens dans la région. Elle est florissante sous le règne de Louis XIII et l’on dénombre pas moins d’une dizaine de moulins autour de la Rochefoucauld équipés de fourneaux où l’on coule de l’acier sous forme de gueuses ; je ne sais si cette activité est très rentable pour les maîtres de forges en raison de la dispersion mais elle le devient à coup sûr à partir de la création du port de Rochefort en 1666 par Colbert ; alors, quelques unes de ces forges se spécialisent dans la production de canons et de boulets pour la marine du Ponant et reçoivent une nouvelle impulsion. La plus connue de ces forges à canons est celle de Rancogne mais elle n’est pas la seule. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la géographie des forges se déplace vers le sud, autour de Ruelle, création du marquis de Montalembert, et de Feuillade-Javerlhac.

    Au cours de la première moitié du siècle, la plupart des forges appartiennent à des gentilshommes protestants ; on trouve des exceptions, elles ne sont pas nombreuses ; en règle générale, les maîtres de forges restent attachés à leur foi. Gentilshommes impécunieux pour beaucoup d’entre eux, laissés pour compte des guerres de religion, heureux de pouvoir exercer une activité lucrative sans déroger et sans quitter leur « logis noble ». Ainsi font les Couraudin à Pierre-Pensue (Montbron), les d’Escravayat, de Chièvres, de Lubersac à La Vallade de Busserolles ou à Montison, Pont-Rouchaud (paroisse de Roussines). Ils sont bien d’autres encore, nobles ou anoblis comme les Magnac, Tourres, Saint-Laurent, Viroulaud ; bourgeois calvinistes comme les Baron, Lériget, ou de Garoste ; tous alliés entre eux à travers une religion et des intérêts communs.

    Est-ce l’ostracisme du pouvoir qui les tient à l’écart de l’aventure océane lancée par Colbert après la création de Rochefort ? Colbert, fils de drapier, ne s’embarrasse pas de préjugés nobiliaires. Peu lui chaut la naissance si les hommes qui l’entourent manifestent leur esprit d’entreprise. L’Angleterre est sur le point de gagner la guerre économique. L’enjeu en est le Nouveau Monde. Des canons, c’est avec des canons, encore des canons, que l’on gagnera la guerre sur mer, une guerre à laquelle ne croit pas outre mesure Louis XIV, roi terrien soucieux de verrouiller les frontières de la France à l’abri de ses places fortes. L’affaire ne traîne pas. Autour de 1670, on dénombre au moins quatre forges à canons, peut-être davantage à quelques lieues de la Rochefoucauld mais ce sont des administrateurs de la marine qui mènent l’affaire depuis Rochefort au moyen de traitants, sous-traitants et de commis qui sont sur place, à pied d’œuvre ; le maître de la forge, propriétaire des lieux n’en est plus que le crédirentier.

    Jean Couraudin, écuyer, est maître de forges à Pierre-Pansue (Montbron) en 1504 ; il est marié à Jeanne de Mascureau. Léonard Couraudin, son petit-fils, abjure le protestantisme entre les mains de l’évêque d’Angoulême le 16 novembre 1584, accident ou parenthèse dans la tradition calviniste de cette famille. De son premier mariage avec Marie Desmier, fille de François d’Olbreuse, Léonard Couraudin n’avait pas eu d’enfants. Remarié en secondes noces avec Jeanne de Blois, les fils nés de ce mariage forment les branches du Chastelard (Cherves) et de Montgoumard (Bunzac).

    Faute de documents plus anciens, c’est seulement en 1632 que l’on trouve la première mention d’une forge à Rancogne, dénommée plus tard « forge à canons » dans le minutier des notaires de la Rochefoucauld ; il se peut que son origine soit plus ancienne. A cette date, — 1632 —, Jean Clémençon, sieur de Boisse (Boixe) est dit maître de forges ; il n’est sûrement pas le maître des lieux. Clémençon a de multiples activités, il est fermier général de la recette de la Rochefoucauld, autrement dit receveur des revenus de la maison ducale, charge qui sera reprise après lui par le père de Gourville, Pierre Héraud. On ne saurait être présent partout à la fois. Le 19 octobre 1632, Me Clémençon donne procuration à un marchand de saint-Florent, Antoine Périgord, pour sous-affermer les moulins banaux de la Rochefoucauld et de la Ramisse qui relèvent du château. Quatre marchands s’associent dans l’affaire parmi lesquels Pierre Héraud (2). Les risques sont partagés, c’est l’usage général.

    La forge de Rancogne était affermée précédemment par Pierre Barbon, sieur de la Potardière. Dame Isabeau Rondelet, sa veuve, assigne au cours de la même année 1632 Jean Clémençon en justice: la forge est arrêtée. Clémençon fait constater par devant Me Rousseau, notaire, que l’écluse est hors de service (3). Isabeau Rondelet maintient sa plainte. Finalement, une transaction intervient plus tard ; à défaut de recevoir les 3.561 livres qui lui restent dues — une jolie somme à l’époque —, la dame fait saisir à son profit gueuses et matériaux demeurés sur place.

    Si Jean Clémençon ne laisse pas d’autre trace à la Rochefoucauld, les membres de la famille Barbon sont des figures connues de la communauté protestante. Pierre, l’ancien fermier de la forge de Rancogne figure comme parrain au baptême de l’un des enfants de Théodore Dulignon, juge-assesseur. Les Rondelet ne sont pas du lieu mais un pasteur de ce nom exerce son ministère à Barbezieux. Théophile Barbon et Madeleine, sa sœur, nés du mariage de Pierre Barbon et d’Isabeau Rondelet tiennent une place importante dans l’industrie des forges. Madeleine Barbon a épousé Daniel Lériget, sieur du Pompineau, protestant notoire, fils de Jean Lériget et de Renée de Magnac.

    Si les propriétaires de la forge de Rancogne demeurent sur place, ils ne l’exploitent pas eux-mêmes. Vers 1660 encore, la forge est animée par Julien Guyon, marchand, « maître de forge, demeurant en la forge appelée de Rancougne ». Il acquiert de François de Riou, sieur de Lamothe, qui demeure à Angoulême, « la coupe et tonsure de 25 journaux de bois… en sa métairie de Vouzan », à raison de 40 livres par journal. La « tonsure » est revendue aux tanneurs. Ce marché est du 8 avril 1659 (4). En une autre circonstance, il traite avec François de Roye de la Rochefoucauld, comte de Roucy, « présent en son château de Marthon » pour une coupe de bois. 4 août 1662 (5).

    Mais à partir de cette date le nouveau propriétaire de la forge, Raymond de Magnac, se manifeste personnellement dans les transactions. Il est vraisemblable que la forge lui est venue par son mariage avec Jacquette Virolaud (Viroulaud, Virouleau…).

    Par exception dans ce milieu, Raymond de Magnac et sa femme sont catholiques. Jacquette est la fille de Pierre Virolaud, écuyer, sieur de Busserolles, ancien échevin anobli par la Mairie d’Angoulême. Pierre Virolaud épouse le 30 septembre 1629 Renée d’Escravayat, fille de Guillaume, vivant écuyer, sieur de Nanteuil, et de Marie Lériget, demeurant au village de Plas, à Malleyrand (6). Pierre Virolaud manifeste une grande activité ; il est lui-même maître de forges à Busserolles et acquiert de grandes quantités de bois. Un acte qui porte la signature de François V, premier duc de la Rochefoucauld, « de présent en son château », portant la date du 18 janvier 1637, mentionne la vente faite à Pierre Viroulaud de bois de fourneaux de la dimension conventionnelle et « de tout le débris de bois qui reste de la forêt de Marthon tant coupé qu’à couper, non propre à autre usage qu’à faire charbon », à charge pour l’acquéreur de « le faire fendre, billoquer (faire des billes) et transporter… » (7). Le bois est cher. Le 29 janvier 1641, Pierre Viroulaud signe un nouveau contrat avec le duc. Le montant de ces deux ventes s’élève à 10.760 livres sur lesquelles l’acquéreur verse des avances à la maison ducale. A cette date encore, les biens de la maison de la Rochefoucauld sont indivis entre les descendants de François III.

    En 1640, le 13 juin, Pierre Viroulaud, écuyer, sieur de Ribieras, demeurant au lieu de Buxerolles (Périgord) acquiert de Haut et Puissant seigneur messire Samuel d’Appelvoisin, chevalier, mari d’Elisabeth de Pierre-Buffière, « le lieu, maison, terre et seigneurie de Marillac-le-Franc, consistant en maison, cour, issues, jardin, fuie, garenne, moulin, étang, pêcherie, vignes, prés, terres labourables et non labourables, forêts, bois, taillis, grande futaie, dimes inféodées, métairies, etc. », pour la somme de 30.300 livres, soit 29.000 livres pour l’immeuble et seigneurie et le surplus pour le bétail, meubles et prix de la dite ferme de l’année en cours (8). Somme considérable, transfert exemplaire de l’ancienne noblesse d’extraction à la noblesse de cloche, d’origine marchande.

    Jacques Viroulaud, son fils, devient après lui seigneur de Marillac-le-Franc ; il a pour beau-frère Raymond de Magnac et son nom paraît à plusieurs reprises sur le registre paroissial de Rancogne.

    Les Magnac sont d’origine ancienne. Noble homme, Pierre de Magnac, écuyer, sieur de Mazerolles, rend aveu de son fief de Mazerolles à haute et Puissante princesse Madame la comtesse d’Angoulême « à cause de son comté de Montbron » le 21 octobre 1473 (9).

    Mis en possession de la forge de Rancogne, Raymond de Magnac fait ce que font tous les maîtres de forges : il achète du bois. Il semble que ce soit là son activité principale ; il en acquiert à droite et à gauche : de son voisin Jean Pasquet, écuyer, sieur de la Brousse et de Rochebertier (10) ; une autre fois, de Rachel de la Garde, veuve de Léonard de la Roussie, demeurant au lieu noble des Deffends de Bunzac, pour une somme de 1.300 livres, la demoiselle se réservant « la moitié du bois de fagotage qui se trouvera du débris de la dite coupe », (11). Il en acquiert à plusieurs reprises entre 1662 et 1670, preuves que la forge de Rancogne a connu une activité soutenue au cours de cette décennie. Bien qu’elle ait reçu le baptême catholique, une des filles de Raymond de Magnac et de Jacquette Viroulaud, Catherine, épouse Daniel Barraud de Lagerie, fils d’autre Daniel, écuyer du prince de Marcillac. On se souvient que les Barraud sont protestants.

    A partir de 1672, Raymond de Magnac est remplacé à la forge de Rancogne par un marchand, Maurice Pied, qui s’installe à sa place. Cette famille de marchands s’est installée à la Rochefoucauld quelques années plus tôt. Marchands et bientôt chanoines. L’un des leurs, curé de saint-Cybard, se distinguera à la veille de la Révocation par ses dénonciations et ses accusations venimeuses contre le dernier carré huguenot. On n’en est pas encore tout-à-fait là. Le 14 février 1672, Antoine Pasquet, sieur de Rochebertier, qui sera tué de façon ignominieuse par les dragons, vend à Maurice Pied, pour le compte de François de Roye de la Rochefoucauld, comte de Roucy, conjointement avec Jean Dulignon, sieur des Chaumes, receveur de la terre de Marthon et demeurant au château dudit lieu, « le nombre de 100 journaux de bois de futaie à prendre dans la forêt de Marthon au lieu appelé le taillis d’Orte », à raison de 14 livres le journal, soit 1.400 livres, à charge pour le preneur qu’il « sera obligé de laisser 8 baliveaux de chêne pour chacun journal » (12).

    Les grandes forêts seigneuriales sont gérées avec soin. A la maison ducale, sont attachés des garde marteaux qui marquent les arbres à laisser sur place au moment des coupes et veillent sur le repeuplement. Bien plus que les droits seigneuriaux hérités du Moyen-Age, la possession d’une forêt est source de revenus. Les besoins se font toujours plus pressants et à partir de 1715 la hausse du bois va en s’accélérant. Braudel évoque les industries meurtrières qui encerclent la forêt, son exploitation sans mesure ; il cite en exemple la verrerie (13).

    Passé 1670, le paysage économique change. Rochefort a pris la place du port de Brouage ensable. La marine royale pousse ses feux ; on arme les vaisseaux qui vont faire pièce aux navires de Sa Gracieuse Majesté. La forge de Rancogne change de mains, les Magnac de Mazerolles ont disparu ; leur nom paraît pour la dernière fois autour de 1670 sur le registre paroissial. Maurice Pied n’a fait que passer.

    En 1677, Charles Dumont, seigneur baron de Blaignac (Blagnac), conseiller du Roi, commissaire général de la marine écrit le 12 novembre à François de Devezeau, seigneur de Rancogne, pour le prier d’avoir soin de des affaires concernant les forges de Rancogne, Planchemenier et « autres articles ». Il lui recommande tout spécialement « l’affaire du sieur du Cluzeau qui est importante » et s’engage à « rembourser agréablement » le sieur de Rancogne de ses avances. Dumont de Blagnac, appelé à d’autres destinées, reprend ce qui lui appartient, soit ses meubles personnels à Rancogne et la production de ces forges. En fait, celles-ci sont des établissements d’économie mixte qui ont pour commanditaire un officier de l’arsenal ; ce dernier délègue sur place un maître d’œuvre ou commis. Autrement dit, le propriétaire de la forge, gentillâtre enfermé entre ses quatre murs, prête son moulin moyennant finance et veille à l’approvisionnement en charbon de bois. La forge de Planchemenier, sur l’Echelle, près de Sers, appartient à François de Saint Laurans (ou Sain-Laurent), sieur du Cluzeau.

    Un expert est nommé en la personne de Théophile Barbon pour faire l’estimation des « canons et autres pièces de fer » trouvés à Planchemenier et à Rancogne (14). Les bons offices du sieur de Rancogne se limitent à mettre à la disposition du notaire ses métayers et ceux de son voisin de Rochebertier, les seuls qu’il ait pu trouver sur place pour « faire charger les canons et autres pièces de fer qu’ils pourront mener avec les meubles qui sont dans la maison (de Rancogne).

    Colbert a pris la mesure des efforts à faire mais la noblesse ne suit pas. Inspirée par le modèle de cour, elle boude l’entreprise industrielle. Ce sont des officiers de Rochefort qui se lancent dans l’aventure.

    Après le déménagement ordonné par le sieur Dumont, René Landouillette « Commissaire de l’artillerie du Roi » fait son entrée à la Forge. Son nom est mentionné à plusieurs reprises sur le registre paroissial de Rancogne autour de 1678. A partir de 1680, René Landouillette change son nom pour celui de Logivière qui sonne mieux, et prend le titre d’écuyer. Sans doute a-t-il acheté l’office du sieur Dumont. Conseiller du Roi, il est à son tour « Commissaire général de la marine ». On le sollicite très souvent comme parrain dans les châteaux alentour. Le 19 septembre 1700, « Messire René de Landouillette, écuyer, seigneur de Logivière, Conseiller du Roi, etc. » est parrain de Françoise de Devezeau, petite-fille du seigneur de Rancogne, fille de François-Samuel, son fils aîné et de Suzanne Odet (les Odet du Fouilloux) (15). Appelé à se déplacer souvent et notamment à Rochefort où il exerce ses fonctions officielles, il confie le soin de ses affaires au sieur de Rancogne.

    Avec René Landouillette de Logivière, la « forge à canons » de Rancogne, — elle est encore mentionnée sous ce nom sur la carte de Cassini trouve un nouvel essor. Une note manuscrite de M. Daniel Joyeux, ingénieur, descendant du dernier meunier de Rancogne suggère qu’un ami de Vauban, d’Eliçagaray, serait venu à la Forge en 1683 pour y installer une fabrique de canons et de bombes. La marine de sa Majesté entend gagner l’Anglais de vitesse. Pour réaliser son projet, Colbert met rapidement en place un corps d’administrateurs de marine confié à la vigilance de son cousin Jean Colbert de Terron, ex-Intendant aux Armées dont il fait en 1666 l’Intendant général des armées du Ponant, en résidence à Rochefort.

    Rancogne n’est pas la seule forge à travailler pour l’arsenal de Rochefort. Vers la fin du siècle, on retrouve Georges du Jarry, l’ancien commis de la forge, « marchand et maître de la forge des Pins » ; celle-ci est encore la propriété de la famille Lériget du Pompineau mais, d’une part la Révocation est passée par là avec ses conséquences, exil des religionnaires, séquestre, etc., d’autre part la spécificité des nouvelles fabrications appelle un maître d’œuvre qualifié. Curieusement, vers la même date, — 1694 —, François de Devezeau, seigneur de Rancogne, fait exécuter par la forge des Pins un contrat qu’il vient de décrocher en association avec deux marchands du Gond « pour la fabrique des armes pour le service du Roi ». Il s’engage à surveiller sur place pour le compte de ses associés la fabrication de huit cents canons boulaniers, conformes au modèle présenté. Des ouvriers qualifiés sont mis à sa disposition. Il n’est pas interdit de penser que M. de Logivière a encouragé son noble voisin dans cette entreprise.

    René Guillaume Landouillette de Logivière, lieutenant d’artillerie de marine en 1720, chevalier, marquis de Maulde, ne reprend pas à son compte l’entreprise paternelle. Officier de vaisseau, c’est plus chic qu’officier de plume. Catherine-Marthe, sa sœur, « fille majeure », autrement dit non mariée, tente l’aventure. C’est pour elle que son père devenu inspecteur de l’artillerie des mers du Ponant a fait construire la partie la plus ancienne du logis actuel. Gervais dans son Mémoire sur l’Angoumois vante la forge de Rancogne, œuvre de M. de Logivière, et rappelle que sa fille l’avait « perfectionnée dans les derniers temps, y ayant établi à neuf quatre fourneaux ». Mais déjà les heures de la Forge à canons sont comptées. Les 20, 21 et 22 juin 1724, un procès-verbal est dressé à la requête de Catherine-Marthe de Logivière qui se dit contrainte de mettre hors d’eau trois fourneaux et souhaite que l’on procède à l’inventaire des « provisions qui lui restent tant sur ladite forge que dans les bois de la Braconne, sur les mines de Feuillade, Javerlhac et autres lieux, et, ensemble, de l’état du cours d’eau de la rivière ». A l’évidence, la forge est entrée dans une phase difficile. Lors du procès-verbal, le notaire et les témoins constatent que « l’eau de la rivière est plus que suffisante pour fournir aux roues des trois fourneaux, à celles de la capitoire, forerie et forge à battre le fer, en sorte qu’il nous a paru qu’il n’y a eu que le manque de charbon qui a fait cesser la fonte des canons ». Le bois, toujours le bois, obsession des maîtres de forges.

    Deux des sœurs de Catherine-Marthe se sont envolées, l’une au bras du baron de Gentilly, l’autre, au bras de Messire Jacques-Joseph de Boisse, chevalier, comte de Boisse, baron de Traignac, seigneur de La Bachellerie et autres places… Quelle avalanche de titres !

    Une troisième sœur, Françoise Radegonde, a pris le voile au couvent de la Visitation de La Rochefoucauld.

    Sous la conduite d’un commis fort diligent, Laurent Girou, qui reste commandes importantes de l’arsenal. L’Assemblée de ville d’Angoulême attaché à la forge jusqu’à la date de sa mort, Rancogne reçoit encore des s’élève contre le projet déposé par le marquis de Montalembert en 1750 en vue de la création de la fonderie de Ruelle. C’est pourtant la logique industrielle qui l’emporte ; le ministre de la marine, Rouillé, donne son aval par lettres patentes de mai 1751. Dès lors, le sort de la forge à canons de Rancogne est scellé et lorsque celle-ci est revendue à Charles-Pierre Ruffray ou de Ruffray, Trésorier des vivres de la marine à Rochefort, le temps lui est mesuré. Le repreneur entend poursuivre les fabrications pour l’arsenal nonobstant la création de Ruelle. En 1751, l’Inspecteur Général Maritz a mis au point un nouveau procédé pour usiner les canons. Un arrêté du 15 novembre 1753 autorise l’installation à Rancogne d’une machine à forer avançant de 3/4 pouces à l’heure ; c’est un gain de temps appréciable. Mais la mort de Charles-Pierre de Ruffray ne lui laisse pas le temps de mener ses projets à bien. Il laisse des enfants mineurs qui s’engagent dans une autre voie.

    La forge de Rancogne ne doit pas faire oublier d’autres forges voisines de La Rochefoucauld, Champlaurier à Saint-Claud, Araisnes et la forge des Pins sur la Bonnieure, d’autant plus actives qu’elles ont eu à un moment ou l’autre pour maître d’œuvre Théophile Barbon, sieur de la Potardière, un battant si l’on en juge par son activité. On avait rencontré son père Pierre Barbon », titre réservé aux marchands les plus en vue, ancien fermier de la forge de Rancogne. En 1629, il est dit maître des forges de Champlaurier et passe contrat le 14 décembre avec Messire de Corgnac, sieur de Boisbelat, pour la fourniture de 25 milliers de fer à prendre en sa forge de Champlaurier (16).

    Autour de 1660, Théophile Barbon et sa famille résident au lieu noble du Gazon, paroisse de Cherves, où il exerce son métier de maître de forges. La même année, on le trouve à la forge de Bosdan, paroisse de Fonclaireau, proche de Mansle (17). Fait-il des navettes entre ces forges ? c’est bien possible, ce qui ne l’empêche pas d’être en affaires avec sa sœur Madeleine, veuve de Daniel Lériget, sieur du Pompineau, qui tient, du moins en 1660, la forge d’Aresnes (paroisse de Chasseneuil) et en partie celle des Pins. Elle s’occupe avec diligence de ses affaires et passe marché le 28 juin 1660 avec son frère, s’engageant à faire avec lui deux fondages à un an d’intervalle. Le sieur de la Potardière poursuit parallèlement ses activités commerciales et immobilières ; vend à Catherine Lousmeau, veuve de feu Jean Pasquet, marchand (branche Cloulas) deux lopins de pré sur le Rivaillon au lieu-dit de la Tête-Noire (18), commerce avec Charles Maret, sieur de la Brousse, lieutenant du château. En 1670, Théophile Barbon a perdu sa femme ; on lui fait une proposition extraordinaire, le voici « Commissaire député par Sa Majesté pour passer au pays de Canada pour découvrir les mines de fer qui y sont » (19). A-t-il été recommandé ? Par Gourville ? On sait l’entregent de ce dernier. Théophile Bardon ne boude pas l’aventure, le Canada vaut bien qu’on laisse derrière soi quelques arpents… sur la Bonnieure. Il s’en remet à Me Pierre Barraud, notaire, son parent, du soin de ses affaires, prend ses dispositions au sujet de sa métairie, puis disparait. Redoutant les mesures qui commencent à frapper les huguenots ? Exilé volontaire comme le feront ses neveux Lériget du Pompineau ? Ses enfants ne laissent pas davantage de trace à la Rochefoucauld. Jacob Barbon, garçon chirurgien, l’un de ses fils, né de son mariage avec Madeleine (ou Marie) Mosnier teste le 19 mai 1678 « sur le point d’aller faire mon tour de France, suivre les maîtres de ma profession et, ci, ayant fait mon tour, d’aller dans les Armées au service du Roi et voyant qu’il y à de lazar (sic) et du péril de ma vie… », bref, les termes habituels par lesquels on prend les dispositions d’usage avant de quitter le pays (20).

    En matière d’esprit d’entreprise, Madeleine Barbon ne le cède pas à son frère. Veuve de Daniel Lériget, elle mène diligemment son affaire. Elle acquiert des coupes de bois et, pendant un temps afferme la forge d’Araisnes à Théophile, pour une durée d’un an, moyennant la somme de 1 200 livres dont le sieur de la Potardière s’acquittera « en buses de fer battu ou ouvré, dès la fin du terme, au prix que vaudra… toutefois, au cas qu’il n’ait au jour de Noël pu faire fondre tant fer que matériaux par faute de manque d’eau et que, visiblement, il parut eu pouvoir en manquer, le dit sieur pourra remettre son fondage jusqu’après la dite fête » (21). Le contrat est de janvier 1656.

    Madeleine Barbon se retrouve veuve très tôt. Daniel Lériget lui a laissé sept enfants. L’aîné des quatre fils est Abraham, sieur du Pompineau ; viennent ensuite Daniel, sieur de la Coste ; Henry, docteur en médecine et Pierre, sieur de la Breuille. L’une de ses filles, Elisabeth, épouse Henry de Garoste, sieur de Russas. Madeleine Barbon s’acquitte en bétail des 500 livres qui restent à verser sur la dot (22). L’argent, si rare encore, est immédiatement réinvesti en charbon de bois et en minerai.

    Il est fréquent que les grandes familles de La Rochefoucauld, alliées entre elles, se mettent en association pour traiter une affaire mais il s’en faut que les comptes soient confondus.

    Daniel Lériget et son beau-frère Henry de Garoste, tantôt fermiers de la forge et tantôt fournisseurs veillent sur son approvisionnement en minerai et en charbon de bois.

    Les circuits ne sont pas réguliers. Du minerai, on en trouve chez Léonard Barbet le jeune qui opère du côté de Rouzède (23). Ou encore en s’adressant à Marsaud Raby, « tireur de mine de feu », faisant tant pour lui que pour Jean de la Bidurie, marchand, demeurant à Champneuf près de Rouzède. Les vendeurs s’engagent à fournir huit moussaux (pains) de minerai moyennant 900 livres (24). Une autre fois, c’est Léonard Regnaud qui acquiert de Léonard Voisin, maître de la forge de Chabrot un lot de minerai tiré des mines de la Croix de Monty, qu’il s’engage à transporter dans un délai de deux mois (25).

    Le charbon de bois reste le souci premier. Gourville, de passage à la Rochefoucauld, en vend pour le compte de la maison ducale. La forêt de Quatrevaux est proche. Pierre Pasquet de Cloulas et son cousin Henry de Saunières, tous deux « agents des affaires de Monseigneur le duc » vendent conjointement avec Philippe Corgnol, sieur de Tessé, capitaine des chasses et Me Jean Jasmes, procureur fiscal, un lot de bois à prendre à Quatrevaux. Pierre de Saunières et Daniel Lériget en trouvent également chez Jean Lériget, sieur de la Rivière, leur parent, qui réside au lieu noble de Montbride, paroisse des Pins.

    1692… Le vent de la Révocation a soufflé sur les familles huguenotes. Daniel Lériget et son frère Pierre ont pris le chemin de l’exil. François de Devezeau, sieur de Rancogne, prend en main la forge des Pins où son cousin de Lage-Chasseneuil avait la prétention de pêcher. Il se lance dans la fabrication de canons comme je l’ai exposé plus haut avec ses associés du Gond (26).

    Pour boucler ce tour d’horizon métallurgique, transportons-nous aux confins du Périgord et de l’Angoumois, autour de Busserolles, de Cherves et de Roussines. Dans ces trois paroisses, l’industrie de la forge est de tradition ancienne, favorisée par la présence de minerai (Roussines), par l’eau vive qui dévale des monts limousins et par le voisinage de la forêt.

    Les chartiers nobiliaires nous apprennent que Pierre de Chièvres est maître des forges de la Vallade et du Gazon en 1509 (27). En 1540, François de Chevreuse est maître de forges à Montizon. Lorsque Guillaume d’Escravayat, gendre de Jean Lériget, Sr des Ménardières et de Jacquette de la Combe, signe son testament le 10 novembre 1615, il le fait en sa forge de Busserolles. Toutes ces familles d’ancienne noblesse ont donné des maîtres de forges et toutes sont liées entre elles non seulement par le sang mais par leur appartenance commune à la religion de Calvin : les d’Abzac, Chièvres, Dauphin, d’Escravayat, Lescours, Lubersac, Montalembert et Thibaud de la Joubertière ; liées d’autre part à la noblesse récente venue de la Mairie d’Angoulême, Pasquet, Viroulaud… Il faut citer encore les forges de Montravail et de Pont-Rouchaud, autant de ressources pour ces gentilshommes que leur éloignement de la Cour plonge dans l’oisiveté à moins qu’ils ne s’emploient à la guerre.

    Plusieurs de ces familles ont perdu dans le tumulte des guerres de dates que j’ai indiquées. Il s’ensuit des querelles avec le voisinage, leurs religion leurs titres héréditaires ; elles n’en sont pas moins attestées aux droits seigneuriaux sont contestés.

    Pierre de Chièvres, premier du nom, épouse Marie de la Fontaine le 24 avril 1509. Un orateur calviniste de ce nom prêche à La Rochefoucauld au temps des guerres de religion ; un De la Fontaine paraît encore dans les registres protestants de Saint-Claud, ensuite le nom s’efface de la chronique locale.

    Pierre de Chièvres, deuxième du nom, avait souffert des Ligueurs ou présumés tels. Il avait perdu de ce fait une partie de ses biens. Victor Bujeaud évoque l’affaire dans sa Chronique protestante.

    Pierre de Chièvres, troisième du nom, sieur de la Vallade et du Breuil, hérite le 25 mars 1594, de la Vallade avec ses forges et ses fourneaux. Cependant, il est lui-même avocat au Présidial, marié à l’une des filles du procureur royal de Jarnac, Françoise Brivet (28).

    La forge de la Vallade reste dans la famille et les de Chièvres y résident jusqu’à la Révocation.

    Entre-temps, la famille Guez acquiert la seigneurie de Roussines. En 1640, une transaction intervient entre François de Guez, écuyer, sieur de Roussines, demeurant à Angoulême et Marc de Chièvres, seigneur d’Aubanye, ce dernier prétendant avoir droit de chemin et passage au travers du bois et garenne du sieur de Roussines pour y passer avec boeufs et charrettes aux fins d’aller à sa forge de la Vallade pour y mener et conduire soit de la mine soit du charbon (29). Il détient ce droit, assure-t-il, de temps immémorial mais ne peut produire de titres, ceux-ci ayant disparu dans le sac de la demeure familiale. Dans l’acte précité, Marc de Chièvres est domicilié au lieu noble de la Vallade. Les siens y vivent de longue date et les Guez venus en Angoumois à la suite du duc d’Epernon font parmi ces gentilshommes figure de parvenus.

    L’animosité prend un tour plus aigu en 1662. Jeanne de Chièvres, veuve Roussines ; elle entre en conflit avec le seigneur de ce lieu à propos du droit de Pierre de Lubersac, demeure à la forge de Montizon, paroisse de re banalité qu’elle prétend exercer sur les gens du cru. Mais les drôles sont réticents. Pour leur donner une leçon, elle propose à un détachement de gens de guerre se trouvant sur place de loger chez eux. C’est le genre de brimades dont les huguenots ne tardent pas à faire eux-mêmes les frais.

    Le sieur de Roussines, seigneur du lieu, soutient les villageois et s’oppose au logement des gens de guerre. Prenant fait et cause pour leur cousine, Jacob et Pierre de Chièvres poursuivent Jean Garet, maître canonnier, défoncent la porte de son domicile, tirent des coups de feu, scénario classique de la part des gentilshommes prompts à faire parler la poudre. Le sieur Garet porte plainte, les parties sont entendues. Dans une requête au Lieutenant criminel les deux cousins qui ont été incarcérés protestent de leurs bonnes intentions. Ils n’ont pas l’intention de s’enfuir, leur procureur Me Jean Galliot répondra d’eux « mais attendu la saison des métaux et autres affaires qui les appellent à vaquer à icelle, ils requièrent d’être élargis, offrant de se soumettre » (30).

    L’argent demeure le souci premier. Pour quelques bourgeois nantis combien de gentilshommes désargentés ! Jacob de Chièvres, parti à la guerre, renonce fort légèrement à son héritage. A son retour, il prend la mesure de son impécuniosité ; à la suite de différends avec son frère Pierre, sieur de la Vallade, le pasteur de la Rochefoucauld, Benjamin de Daillon, s’efforce de calmer les frères ennemis, les suppliant « d’établir la paix entre eux » (31).

    Quelques années plus tard, Jacob de Chièvres, non moins désargenté, presse son beau-frère, Hélie Tourres sieur de Suaux (Mazerolles), de mettre fin à l’indivision qui demeure entre eux et ce, pour quelques meubles.

    Ce n’est pas que les affaires d’Hélie Tourres aillent guère mieux. Pierre Tourres, sieur de Loquin, son père, était entré dans le circuit des Aides (impôt indirect) prélevées sur les ventes d’acier de fer ou de fonte, en qualité de fondé de pouvoir d’un bourgeois de Paris, fermier du droit domanial.

    Une alliance avec Marie de Chièvres, héritière de la forge d’Yvrac, inspire un projet à son fils, Hélie. Il passe contrat avec Daniel Lériget, sieur de la Coste, au cours de l’année qui précède la Révocation, lui offrant de faire un « fondage » dans sa forge d’Yvrac. Daniel Lériget fournira le charbon. Tourres apportera dans l’association la forge, les ouvriers, la mine « et autres choses nécessaires ». Le fer, les gueuses, seront partagés par moitié. Le sieur de la Coste sera même déchargé des frais domaniaux ; on lui demande simplement de fournir le charbon, à preuve que le bois demeure l’élément premier de cette industrie.

    Les bénéfices supputés, l’attrait des commandes de l’arsenal de Rochefort font rêver plus d’un maître de forges. Pont-Rouchaud, paroisse de Roussines, n’a pas laissé beaucoup de traces. En 1678, Gabrielle de Livron, veuve de Jean Chérade, demeure à la forge du lieu (32). Vers la fin du siècle, Alexandre d’Excravayat, écuyer, qui se qualifie « seigneur de Roussines et château-fort », — décidément tout le monde se dispute cette seigneurie —, confie à un charpentier de la Vallade sise en cette paroisse plusieurs travaux destinés à l’aménagement de deux fourneaux que le dit sieur se propose de créer « à l’effet de faire des gueses et des canons pour le service du Roy ». Travaux devant être menés avec diligence « comme étant des affaires de Sa Majesté » (33).

    Il est évident que la création de la fonderie de Ruelle porte un coup fatal à ces forges dispersées sur le territoire, conduites sans méthode, sujettes à de constantes ruptures d’approvisionnement. L’une ou l’autre tenteront de reprendre vigueur lors de la Révolution quand la défense de la patrie en danger deviendra prioritaire.

    Notes :

    (1) E. Vincent — Une paroisse autrefois en Angoumois, Marillac-le-Franc, 1898, p. 10.

    (2) Arch. Départ. Charente — 2 E 4735, reçu Rousseau

    (3) Arch. Départ. Charente — 2 E 4736

    (4) Arch. Départ. Charente — 2 E 4592, reçu Desaunières 14.04.1659

    (5) Arch. Départ. Charente — 2 E 4592, reçu Desaunières 04.08.1662

    (6) Arch. Départ. Charente — 2 E 4716, reçu Mathieu, 30.09.1629

    (7) Arch. Départ. Charente — 2 E 4584, reçu Desaunières

    (8) Arch. Départ. Charente — 2 E 4585, reçu Desaunières 13.06.1640

    (9) Arch. Départ. Charente — 2 E 4646, reçu Grassin, 07.07.1669

    (10) Arch. Départ. Charente — reçu Desaunières, 1662

    (11) Arch. Départ. Charente — reçu Desaunières, 1668

    (12) Arch. Départ. Charente — 2 E 4652, reçu Grassin, 14.02.1672

    (13) Fernand Braudel — L’identité de la France, op. cit. t. 1 p. 128

    (14) Arch. Départ. Charente — 2 E 4543, 1678

    (15) Registre paroissial Rancogne

    (16) Arch. Dép. Charente — 2 E 4716, reçu Mathieu, 14.12.1729

    (17) Arch. Dep. Charente — 2 E 4630, 28.06.1660

    (18) Arch. Dép. Charente — 2 E 4639, reçu Grassin, 07.08.1665

    (19) Arch. Dép. Charente — 2 E 4540, reçu Col, 18.04.1670 et 2 E 4541 reçu Col 05.06.1672

    (20) Arch. Dép. Charente — 2 E 4543, reçu Col, 19.05.1678

    (21) Arch. Dép. Charente — 2 E 4591, reçu Desaunières

    (22) Arch. Dep. Charente — 2 E 4629, reçu Grassin, 1659

    (23) Arch. Dep. Charente — 2 E 4581, reçu Denis, 20.07.1677

    (24) Arch. Dép. Charente — 2 E 4580, reçu Denis, 08.06.1675

    (25) Arch. Dép. Charente — 2 E 4578, reçu Denis, 16.06.1664

    (26) Arch. Dep. Charente — 2 E 4671, reçu Grassin, 20.07.1692

    (27) Beauchet-Filleau — dictionnaire Chièvres…, pp. 462-466.

    (28) Beauchet-Filleau — Dictionnaire ibid.

    (29) Arch. Dep. Charente — 2 E 4585, Desaunières, 05.07.1640

    (30) Arch. Départ. Charente — BI/996 1

    (31) Arch. Départ. Charente — 2 E 4580, reçu Denis, 06.09.1669

    (32) Arch. Départ. Charente — 2 E 4661, reçu Grassin, 03.11.1678

    (33) Arch. Départ. Charente — 2 E 4669, reçu Grassin, 15.08.1688

    Source : La Rochefoucauld au péril de Calvin, d’Yvon Pierron.

  • 1721, 19 juin. — Abjuration de l’hérésie de Calvin faite en notre église et à notre messe paroissiale par messire Louis Dulaud de Solilogne, en présence de mess. Pierre de Mergey, écuyer, seigneur de Chatelars; mess. Gourdin, écuyer, seigneur du Breuil; mess. de Devezeau, écuyer, seigneur de Rancogne; mess. d’Abzac, écuyer, seigneur des Tuffas, etc. (registres paroissiaux de Rancogne)

    1759, 30 août. — En vertu de la commission qui m’a été adressée par monsieur Coiffet, archidiacre et vicaire général du diocèse, laquelle est datée du 30 août de la même année, j’ai reçu le cinq septembre, l’abjuration et profession publique de foi qu’a fait avec édification messire Louis Dulaud de Solilogne, de la paroisse d’Yvrac, en présence de M. Alphée de Brissaud, de M. Louis Perry de Mallérant, de M. Nicolas de Fornel, garde du corps, qui ont signé avec le dit M. Dulaud de Solilogne. (registres paroissiaux de Marillac)

    Source : Archives départementales de la Charente.

  • Le seigneur des Ombrais, Charles Odet, se rendait à cheval, le 5 mai 1687, aux Lignons (Saint-Projet). « Il avait eu à se plaindre d’un domestique que le sieur Laforcade, horloger audit lieu, avais pris à son service. Que se passa-t-il alors ? Ce que nous savons, c’est que peu de temps après, il fut rencontré par plusieurs témoins sur le chemin des Ombrais, distant des Lignons d’une demi-lieue, la tête couverte de sang, auxquels il n’eut la force que de dire ces mots : « Les valets de Laforcade m’ont tué ! » À peine arrivé aux Ombrais, on le descendit de cheval ; il fut étendu sur son lit chez le métayer Delâge et rendit le dernier soupir. Sa femme, Anne Pasquet, aussitôt prévenue, le fit transporter à L’Âge-Baston, sa demeure ordinaire, et enterrer dans son jardin sans aucune cérémonie religieuse. » Une longue enquête fut ouverte ; elle ne semble pas avoir donné de résultats mais nous éclaire sur l’état d’esprit de l’époque, quelques années après la révocation de l’Édit de Nantes. Ne lisons-nous pas une déposition qui se termine ainsi : « Que foi ne doit être ajoutée à ce que pourrait avoir dit le seigneur des Ombrais avant sa mort, d’autant qu’il était mort hérétique, sans avoir abjuré l’hérésie, et même ayant refusé les sacrements de l’Église et s’est fait enterrer dans son jardin. » Sa fille Sarah préféra s’expatrier qu’abandonner sa religion.

    Source : Histoire d’un vieux logis en Angoumois, le château des Ombrais, d’Henri de Montégut.